Déclinisme

Je voudrais remercier Nicolas de son excellent commentaire sur l'article où je vois un risque de faillite et de guerre civile dans le futur de la France. Il a stimulé ma réflexion, donc j'ai décidé de lui répondre par le présent article plutôt que par un commentaire lapidaire. Ignorant le nom de famille de cet internaute, je lui répondrai aussi sérieusement que si c'était Baverez ou Sarkozy.

Nicolas, notre divergence de vue n'est pas à l'échelle d'un ou même deux quinquennats, et ne concerne pas les possibilités de réforme ouvertes par l'élection de Nicolas Sarkozy. Nous sommes tous deux d'accord que l'état français n'est pas à sa place et qu'il est possible de l'y remettre comme cela a été fait au Royaume-Uni sous les gouvernements de droite de Margaret Thatcher puis John Major. Nous avons une bonne chance de faire revenir la France dans la moyenne européenne, ce qui arrêterait l'exil des jeunes Français qui veulent réussir vers Londres, et celui des vieux Français qui ont réussi vers Bruxelles. Ces réformes ne sont pas gagnées d'avance car les forces sclérosantes sont puissantes et bien organisées, et nul ne sait si le président Sarkozy aura suffisamment de volonté, de talent... et de chance (car il en faut!) pour les vaincre. Mais pour une fois je suis prêt à être optimiste, donc supposons que tout se passe comme nous le désirons tous deux.

Nicolas, notre divergence de vue porte sur ce qui se passera après. Vous, vous prédisez le début d'un cercle vertueux qui petit à petit tendra à éliminer tous les collectivismes forcés. Moi, je prédis un retour de balancier vers l’étatisme, et un retour à la tendance naturelle de l'interventionnisme, qui est d'étendre son champ d'action. Vous y voyez un espoir de résoudre les crises profondes engendrées par l'extension de l'état, j'y vois juste un moyen de retarder l'inévitable.

Pour bien recadrer les choses, le désaccord porte sur ce qui se passera dans 10 ans dans le cas hypothétique où le président Sarkozy tient ses promesses. C'est donc un débat assez philosophique... A moins d'avoir une boule de cristal, comment avoir une certitude? C'est aussi un débat assez éloigné des réalités présentes qui mettent la France en ébullition. On s'abstrait de la situation politique actuelle pour se projeter dans le futur conditionnel. Exercice périlleux s'il en est! Il faut une théorie de l'état, une théorie de l'histoire et une théorie de la démocratie pour raisonner à cet horizon-là. Il n'est même pas évident que ça soit bien utile ou urgent de trancher (en supposant que ça soit possible), puisqu'il y a des batailles immédiates à livrer pendant ce quinquennat.

Néanmoins je trouve ça intéressant, et je pense qu'un peu de réflexion fondamentale de temps en temps ne fait de mal à personne. Surtout quand ça touche à l'essence même de notre vision du monde.

Mes arguments sont:

  • Ce retour du balancier vers l'étatisme est exactement ce qui s'est passé au Royaume-Uni depuis que la gauche est revenue au pouvoir.
  • Tous les contre-pouvoirs autres que le chef de l'état (ou de gouvernement) sont structurellement biaisés en faveur de l'extension du rôle de l'état: journalistes, artistes, professeurs, fonctionnaires, assistés, partis politiques, syndicats, associations. Donc quand, par exceptionnel, la population excédée porte finalement au pouvoir un réformateur, il ne peut mettre en œuvre que des réformes à la marge qui remettent les contribuables au boulot, mais sans démolir les usines à gaz de l'étatisme. Par contre quand le chef de l'exécutif est un étatiste, ce qui est le plus fréquent, il a les mains libres pour augmenter l'interventionnisme tous azimuts.
  • En démocratie, le pouvoir politique n'a aucune incitation à résoudre les problèmes bien prévisibles qui balaieront le pays dans 20 ans. Pour peu que ces problèmes aient une grande force d'inertie, quand ces problèmes entreront dans le champ de vision des hommes politiques (mettons 5 ans avant la crise), il sera trop tard pour les résoudre. En Europe, je pense particulièrement aux problèmes de dette et de démographie. Aux Etats-Unis, il y a aussi le problème spécifique de leur armée qui est déployée partout dans le monde à grands frais pour supporter leur politique impérialiste.
  • L'histoire des démocraties occidentales depuis les années 1870 est celle de l'augmentation massive du pouvoir de l'état sur les individus, et il n'y a aucune raison que ce mouvement s'inverse de son propre chef autrement que de manière locale et temporaire.

Dans le cas de la France, ce que j'appelle "démolir les usines à gaz de l'étatisme", ce serait:
  1. ramener la part des dépenses publiques dans le P.I.B. du niveau actuel de 54% au niveau coréen qui est de 27%,
  2. confirmer la fin du monopole de la sécurité sociale inscrite dans les directives européennes,
  3. transformer le système de retraite par répartition en système par capitalisation comme au Chili,
  4. et mettre en place une politique d'immigration aussi stricte que celle de la Suisse.

Nous devrions être d'accord que ces quatre mesures seraient suffisantes pour désamorcer les deux bombes à mèche lente (endettement public et démographie) qui vont nous sauter à la figure dans à peu près vingt ans. Nous devrions être aussi d'accord que ces mesures ne sont pas politiquement réalisables par le président Sarkozy pendant ce quinquennat.

La question cruciale est: si le président Sarkozy réussit par ses réformes limitées à remettre les contribuables au boulot, cela créera-t-il un cercle vertueux qui aboutira à ces réformes? Nicolas, vous dites oui, et moi je dis non. A mon sens, l'effet net d'un quinquennat Sarkozy réussi sera principalement de réduire la pression réformatrice, de dégager des marges de manœuvre permettant de reprendre l'expansion de l'état, et d'éloigner la perception du danger.

Pour penser qu'il puisse en être autrement, il faudrait n'avoir pas intégré les leçons de la théorie des choix publics qui a valu à son fondateur James Buchanan le prix Nobel d'économie en 1986. Elle a démontré sans équivoque que l'être humain a le même comportement qu'il soit employé dans le secteur privé ou dans l'appareil d'état: dans un cas comme dans l'autre, il cherche à maximiser son avantage personnel. En particulier, l'idée selon laquelle les hommes d'état œuvrent pour l'intérêt général plutôt que pour leur intérêt personnel bien compris n'est qu'un mythe qu'ils propagent eux-mêmes.

D'où le retour de balancier que je prédis après, au moment précis où il faudrait poursuivre dans la voie de la réduction des interventionnismes pour enfin démolir les vraies usines à gaz. C'est pour cela que, même si le 6 mai m'a donné envie d'être relativement optimiste à court terme, je suis quand même décliniste à moyen terme pour la France et plus généralement pour l'ensemble des démocraties occidentales.

Quant au scénario particulier de la faillite, d'autres jouent de la boule de cristal mieux que moi, citons par exemple Philippe Jaffré et Philippe Riès dans leur livre Le jour où la France a fait faillite. Pour le scénario de la guerre civile, il y a un article en deux parties qui ne transpire pas la tolérance, c'est le moins qu'on puisse dire, mais qui est néanmoins bien argumenté. Pour la faillite et la guerre civile, il y a cet article écrit par quelqu'un qui a beaucoup lutté contre le monopole de la sécurité sociale.

Bien sûr ces scénarios-catastrophes présupposent que les dirigeants politiques seront incapables d'un sursaut avant que le point de non-retour ne soit atteint, et c'est plutôt à ce niveau-là que j'ai essayé de situer notre débat. Parler ainsi peut sembler paradoxal, au moment précis où 85% des inscrits ont donné un mandat clair de réforme à un homme de droite particulièrement énergique, mais je n'ai jamais craint de ne pas être à la mode.

Le thème de la faillite et celui de la guerre civile se rejoignent autour du dernier espoir auquel s'accrochent les élites au pouvoir: "les immigrés paieront nos retraites". Cette théorie a été définitivement discréditée par Martin Feldstein, professeur d'économie à Harvard. Ceci est pour moi le dernier clou dans le cercueil de la démocratie sociale en Europe, mais il faudra encore 20 ans pour que l'homme de la rue s'en rende compte.

D'ailleurs je vois dans la progression fulgurante des assauts contre des libertés individuelles qu'on croyait acquises depuis plusieurs siècles: caméras de surveillance, fichiers informatiques, lois contre la liberté d'expression, criminalisation des opinions dites "de discrimination", aussi bien au Royaume-Uni qu'aux Etats-Unis, en France et partout ailleurs en Europe, la preuve que les élites sentent bien que la situation risque de s'envenimer et qu'elles ont intérêt à renforcer leur arsenal répressif en prévision de la lutte à mort qu'elles auront à mener contre leurs propres contribuables.

Au début, j'étais un décliniste au premier degré, c'est-à-dire que je pensais que la France avait juste besoin d'une cure de thatchérisme. Puis je me suis demandé comment une démocratie avait réussi à créer tant d'étatisme, alors que c'est si clairement nuisible au pays. J'ai alors découvert une théorie de l'état selon laquelle l'interventionnisme partiel génère toujours plus d'interventionnisme, et une théorie de la démocratie selon laquelle ce régime sacrifie le producteur pour le non-producteur et le long terme pour le court terme. J'ai trouvé que c'était intellectuellement solide et que ça expliquait bien le monde tel que je le connaissais. Je suis alors devenu décliniste au second degré, c'est-à-dire que je pense que la démocratie sociale est destinée à disparaître à moyen terme aussi sûrement que l'était le communisme. Ce blog en général, et cet article en particulier, est simplement un effort pour traduire en termes concrets et actuels ces théories.

Pour moi, la solution ne peut passer que par un retour aux idéaux de la philosophie des Lumières, qui a découvert que chaque individu possède trois droits naturels antérieurs à toute loi politique: la vie, la liberté et la propriété. A mon avis, la république une et indivisible où les dirigeants politiques sont désignés à la majorité par le suffrage universel est une bien piètre traduction de ces idéaux. Le consentement à l'état, l'unanimité dans les décisions collectives, qui découlent pourtant des droits naturels, sont absents de la pratique démocratique actuelle. Concrètement, pour mettre en œuvre les idéaux de la philosophie des Lumières, il faudrait reconnaître à chacun le droit d'ignorer l'état ainsi que le droit de concurrencer l'état. En effet cela garantirait que l'état ne puisse pas violer les droits naturels des individus, car ceux qui ne sont pas satisfaits pourraient toujours ignorer l'état et s'organiser autrement. Ceci impliquerait en particulier un droit de sécession illimité. Il me semble que, si nous préparons le terrain intellectuel dès aujourd'hui, c'est le genre de régime qui pourra naître de la crise des années 2030, car tous les autres auront été essayés et discrédités. Ambitieux, je sais. Alors joignez-vous à nous, on ne sera pas de trop pour faire triompher la cause de la liberté.

4 commentaires:

Libéralisateur a dit…

@Gallatin,

Je ne suis pas ni aussi pessimiste que vous dans l’analyse que vous faites du court terme avec Sarkozy. Je le pense un fonceur et un fonceur cela passe ou cela casse !

En se déclarant ostentatoirement aimer les riches il vient de plus, de brûler ses vaisseaux. Il me semble acculer à court terme à inverser la tendance au déclin de la France ou à ne pas finir son mandat. Il ne faudra pas qu’il oublie que ce n’est pas 85% des français qui lui ont demandé de réformer la France comme vous semblez le dire, mais seulement 53% d’entre eux. Ne jamais sous-estimer son « adversaire ».

Le premier de ses travaux d’Hercule sera de nettoyer les écuries d’Augias (c’est à dire la fonction publique donc l’état de tout ce qui n’est pas efficient) et cela commence par museler tous ceux de la gauche, bénéficiaires de cette situation, que les Ressources française ne peuvent plus supporter. Cela se traduira par une épreuve de force (type CPE) et il faudra en sortir vainqueur cette fois. Je ne vois qu’une solution qui est celle d’interdire aux agents de l’Etat et des Collectivités publiques de faire grêve en bloquant les services publics quels qu’ils soient. Il n’y aura pas de futur pour la moindre réforme sans gagner ce passage obligé.

Si c’est le cas il faudra changer les lois inégalitaires, non pas dans un égalitarisme niant le mérite individuel, mais au contraire créer une justice que de donner plus à celui qui mérite plus, par son travail, son talent ou même sa chance individuelle. C’est cela qui me semble être demandé par la majorité des français. Ensuite nécessité fera loi. Les retraites, l’assurance maladie ou l’assurance chômage, entre autres, ne pourront perdurer sur les bases actuelles. Il faudra revenir à un minimum égal pour tous dans un « contrôle ou une organisation étatique » et laisser les gens s’organiser – s’ils le souhaitent – dans des complémentaires individuelles et privés d’assurance. Cela impliquera que les gens n’attendent plus tout de l’Etat. Mais la résultante de cela sera de forcer les gens à se remettre au travail pour avoir une meilleure adéquation de leurs conditions de vie avec leurs souhaits. Mais ils ne pourront l’obtenir qu’en se levant le matin, pas d’un Etat providence.

Cela peut être mis en place sur une législature, le reste « coulera de source ». Si la fin de cette législature est atteinte, ces causes auront déjà produit leurs effets et Sarkozy pourra penser à être réélu une nouvelle fois. Après je ne vois pas dans ce scénario un « retour de balancier » vers de nouveau plus d’Etat.

Dans le cas contraire Sarkozy soit sera sorti du jeu avant la fin de son mandat ou bien soit il sera immobilisé comme la « droite » vient de l’être depuis 5 ans et la France ira encore plus vite à la faillite. Il faudra bien alors reconstruire. Ce sera de toutes les façons la fin de l’Etat providence.

Nous n’avons pas assez de ressources naturelles pour être riches sans avoir à travailler. Nous sommes contraints à créer de la richesse par l’activité économique avant que de la partager.

Gallatin a dit…

Libéralisateur:

En somme, vous espérez que Sarkozy puisse être le Reagan ou la Thatcher "à la française" que nous n'avons pas malheureusement pas eu la chance d'avoir il y a 25 ans.

Vous espérez que, comme eux, il va sortir vainqueur d'une épreuve de force qui musèlera ceux qui bénéficient indûment de la situation présente, principalement à gauche.

Vous espérez que, comme Reagan et Thatcher, il incitera les gens à se remettre au travail.

Moi aussi! Je pense comme vous qu'il a une bonne chance d'accomplir ces tâches.

Là n'est pas le problème. Le problème c'est que même ça, ça ne suffira pas.

Ni Thatcher ni Reagan n'ont, dans leurs pays respectifs, réussi à réduire durablement le pourcentage des dépenses publiques dans le Produit Intérieur Brut, meilleure mesure de la nocivité de l'état.

Thatcher ne s'est même pas attaquée à la vache sacrée de la médecine socialisée (National Health Insurance), alors comment Sarkozy permettrait-il à tout Français de quitter la Sécurité Sociale?

Reagan a augmenté l'endettement public de manière massive, comment Sarkozy le réduirait-il?

En France on a tendance à sous-estimer la déception des vrais libéraux quand ils ont réalisé que même Thatcher et Reagan n'avaient obtenu que des victoires limitées, relatives et temporaires contre le Léviathan.

Quand je considère les bombes à retardement de l'endettement public, de la démographie, de l'émigration des Bac+5 et de l'immigration des Bac-5, je me dis que des victoires limitées, relatives et temporaires, ça ne suffira pas à sauver les meubles.

C'est mon côté un peu grincheux et rabat-joie... ou lucide, on saura dans 20 ans.

Anonyme a dit…

je suis content de trouver quelqu'un qui pense comme moi.
on est tous les 2 anarchistes de droite.

Gallatin a dit…

En réponse au commentaire anonyme daté du 22 mai 2007 03:49:00 CET :

Anarchiste de droite, c'est un raccourci intéressant. En effet, plus on s'approche d'un libéralisme cohérent comme le mien, plus on renvoie dos à dos les notions de "gauche" et de "droite". Plus on s'en distancie. D'ailleurs, pour que certains siègent à gauche et d'autres à droite, ne faut-il pas qu'il existe un parlement? Et ce parlement n'a-t-il pas pour nature de voter des lois à la majorité et de les faire appliquer par la force sur un territoire donné? Choses qui me répugnent.

Personnellement je me dirais plutôt "capitaliste" et "culturellement conservateur". Cependant je suis bien conscient que dans le langage courant ces notions ont une connotation "de droite". De toute façon, il ne faut pas laisser l'exclusivité de l'anarchisme aux communistes comme Bakounine, ni celle de la droite aux étatistes comme Sarkozy.

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