Présentation

Pour commencer mon blog j'ai écrit une série d'articles qui se suivent selon une progression logique pour exposer le cœur de mon système de pensée.

Vous pouvez lire le tout en cliquant ici:

La liberté en France


Ça se lit du haut en bas, pas comme un blog normal mais comme un livre normal. Je l'ai aussi découpé en 2 parties qui peuvent se lire chacune son tour:

  1. Fondations du libéralisme
  2. Résoudre le problème de l'état

Après ce survol initial j'ai publié le reste comme un blog normal: sans classement logique contraignant, les articles les plus récents en haut. Bonne lecture! A suivre...

Bonjour

Voilà, je me lance. Premier article sur mon blog. J'ai des idées, des opinions qui dérangent. Je le sais, mes amis et mes collègues me le disent assez! Alors je vais les publier mon blog. J'ai besoin de trouver ma voix, mon ton, mon style. Mon rythme. Après, advienne que pourra.

Je suis libertarien. Ou anarcho-capitaliste. En France, on peut dire aussi tout simplement et plus élégamment: libéral. Pas tendance Alain Madelin, tendance Pascal Salin. Vous le connaissez? Il a publié un livre-référence en 2000 aux éditions Odile Jacob intitulé: "Libéralisme". Pour mémoire, c'est un ancien président du jury d'agrégation d'économie. Pas n'importe qui, donc. Aussi un ancien président de la société du Mont Pèlerin, qui est la société internationale d'intellectuels libéraux la plus prestigieuse du monde. Elle a été fondée en 1947 par Friedrich Hayek (prix Nobel d'économie 1974).

Ceci n'est pas un blog dédié à Pascal Salin. Son livre définit de manière correcte, moderne et française le terme libéralisme. C'est un grand mérite. Je le vois comme un point d'ancrage. Grâce à lui, je peux me définir comme libéral sans ambiguïté. Mais la pensée libérale contemporaine ne se réduit pas à un livre, ni un homme: elle est multiple, évolutive et très provocante.

Ce n'est pas non plus un blog dédié à la société du Mont Pèlerin. Il faut savoir que le mentor de Hayek, le grand économiste Autrichien Ludwig von Mises, a claqué la porte de l'un des congrès en adressant à Milton Friedman (prix Nobel d'économie 1976) et aux autres participants l'insulte suprême: "Vous n'êtes qu'une bande de socialistes!". Quand on sait ce que les socialistes pensent de Hayek, de Friedman, de la société du Mont Pèlerin et des libéraux en général, ça vaut son pesant de cacahuètes... Tout ça pour dire que même chez les libéraux il y a des courants. Personnellement je suis du côté de Mises sur ce coup-là.

Finalement, ceci n'est pas un blog dédié à l'économie. La pensée libérale est une idéologie universelle qui recouvre tous les aspects de l'organisation sociale et de la condition humaine. Comme l'économie est un domaine qui ne pardonne pas les erreurs, c'est là que la supériorité à la fois morale et pratique du libéralisme est la plus éclatante. Mais, dans une certaine mesure, l'économie est la dimension la moins intéressante du libéralisme. La politique et la morale sont les dimensions les plus intéressantes, et les moins discutées. Mon blog leur est consacré. Et ça va décaper, parce que la politique et la morale, ça touche tout le monde et ça appuie là où ça fait mal...

Les articles de novembre constituent une introduction aux thèmes fondamentaux du libéralisme. Ils sont classés selon une progression logique qui part de la définition du libéralisme et aboutit à une analyse libérale des défauts de la démocratie. Les articles d'octobre appliquent ces principes libéraux à un problème social ô combien d'actualité. Ils sont classés dans le même ordre de progression logique que ceux de novembre. Les articles de décembre, eux, ne sont pas classés.

Mon pseudonyme Gallatin vient du roman de science-fiction libertarien The Gallatin Divergence par L. Neil Smith. Ce roman évoque le personnage historique réel Albert Gallatin, le Suisse qui fut l'un des plus proches collaborateurs de Thomas Jefferson.

A suivre...

Libéralisme

J'ai extrait de Wikipedia une liste des principes du libéralisme qui résume assez fidèlement mes opinions. Il ne faut jamais laisser à nos adversaires le soin de le définir le libéralisme. Et puis je préfère jouer cartes sur table par respect pour les lecteurs.

Définition

Le libéralisme est un courant philosophique qui repose sur l'idée que chaque être humain possède des droits naturels sur lesquels aucun pouvoir ne peut empiéter, qui sont le droit à la vie, la liberté et la propriété.

Auteurs

Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, Charles Dunoyer, Gustave de Molinari, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Murray Rothbard, Pascal Salin.

Droits naturels

Le fondement de la pensée libérale est une théorie du droit selon laquelle chaque être humain est seul maître de lui-même et possède des droits fondamentaux et inaliénables qui découlent de sa simple existence et sont inhérents à la nature humaine. Ces droits sont: le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit à la propriété.

Du droit à la vie découlent le droit de légitime défense contre toute agression, le droit à la sûreté et le droit de résistance à l'oppression.

La définition de la liberté individuelle la plus courante est celle de l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789: "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. "

La liberté se traduit par le droit pour chacun d'agir comme il le décide pour poursuivre ses objectifs propres par ses moyens propres, d'échanger, de s'associer et de contracter librement.

Le droit de propriété est le droit pour chaque individu de disposer à sa guise du fruit de son activité et des richesses qu'il a créées ou acquises de façon légitime, ainsi que de s'approprier toute chose (par exemple l'espace qu'il occupe ou l'air qu'il respire) qui n'est pas déjà la propriété d'un autre individu. Ces droits ont un caractère universel. Ils sont applicables à tous les êtres humains, à tout moment et en tout lieu.

Un droit naturel se distingue d'un droit positif en ce que son exercice ne suppose rien quant à l'action d'autres personnes et qu'il ne découle pas d'une définition législative.

Personnalité, Liberté, Propriété [...] sont antérieures et supérieures à toute législation humaine.

La loi (1850), de Frédéric Bastiat.

Ethique libérale

La morale libérale se résume à un seul précepte: " tu ne violeras pas les droits naturels d'un autre être humain ". Elle laisse chacun libre de choisir ses propres fins, ses propres moyens et sa propre morale, dans la mesure où il n'empêche pas les autres d'en faire autant.

Réciproquement, ces droits impliquent des obligations qui forment le noyau d'une morale personnelle. Ils impliquent l'interdiction de toute agression contre l'intégrité de la personne, du meurtre, du vol et de l'esclavage sous toutes leurs formes.

À part cela, le libéralisme ne prescrit aucun comportement particulier au niveau individuel. Il considère que la morale et les religions sont hors de son domaine et se borne à interdire l'usage de la contrainte en matière religieuse ou morale, comme dans toutes les autres matières.

La responsabilité, inséparable de la liberté et de la propriété, dit que chaque individu doit supporter les conséquences de ses actions, bonnes ou mauvaises. C'est une condition de la liberté: si autrui devenait responsable de nos actions, il devrait acquérir l'autorité pour nous imposer ses vues et donc restreindre notre liberté. C'est aussi une composante de la sûreté d'autrui.

Le libéralisme n'est pas l'absence de règles de droits. Le droit est formé d'une part par les droits naturels de chacun, et d'autre part est le produit des contrats passé entre eux par les individus.

Aspect social

Rien dans le libéralisme ne s'oppose aux actions collectives, à condition que les associations qui les entreprennent soient entièrement volontaires et n'exercent aucune contrainte ni sur leurs membres, qui doivent pouvoir les quitter librement, ni sur les autres individus.

Selon les projets auxquels il veut participer, chaque être humain peut appartenir à un nombre quelconque de communautés, chacune ne pouvant lui demander que ce qui est nécessaire à la réalisation de son objet particulier. La société libérale idéale n'est ni une juxtaposition d'individus égoïstes étrangers les uns aux autres, ni une juxtaposition de communautés séparées, mais plutôt un enchevêtrement d'associations volontaires de toutes natures à travers lesquelles chacun peut travailler aux fins qu'il se donne, en coopérant librement avec ceux qui partagent tel ou tel de ses idéaux.

Aspect économique

Tout accord librement consenti ou ensemble d'échanges librement consentis augmente la satisfaction des participants telle que perçue par chacun d'entre eux, car s'il en était autrement, celui qui se sentirait lésé refuserait cet accord qui n'aurait donc pas lieu. La liberté d'échanger et d'entreprendre est vue à la fois comme un cas particulier du principe philosophique de liberté, donc un impératif moral qui s'impose indépendamment de ses conséquences, et comme un moyen qui conduit le plus probablement à la plus grande satisfaction générale.

A suivre...

Avoir des convictions

Eh oui, je crois à quelque chose. Ce n'est pas à la mode ces temps-ci. Il est de bon ton de prôner un relativisme systématique. Toute croyance un peu robuste est représentée comme une sorte d'oppression intellectuelle.

Et pourtant, croire au principe qu'on ne doit plus croire en rien, c'est déjà une croyance en soi. Un peu contradictoire, non? Les vrais oppresseurs intellectuels sont ceux qui démolissent toutes les croyances des autres au nom de ce principe absolu. Je ne leur accorde donc aucune attention.

Je crois que le bien et le mal existent, le vrai et le faux, le juste et l'injuste. Je crois aussi qu'on peut les distinguer par l'exercice de la raison, apprendre quelles actions mènent à l'un et à l'autre, et en convaincre ses voisins par l'exercice de la parole. Enfin je crois qu'il sera possible et nécessaire à terme d'ostraciser ceux qui refusent sciemment de se laisser convaincre, de les mettre hors-jeu, de les exclure aussi longtemps qu'ils persisteront dans leurs erreurs. Il est désagréable et dangereux de fréquenter le mal, le faux et l'injuste.

Si j'aspire à une certaine universalité, cela me contraint à croire en peu de choses. Il faut que ces choses s'appliquent tout autant à un Papou qu'à moi. Plus le programme est minimal, plus il sera à même de se diffuser. Il serait ridicule que j'essaie de convaincre tout le monde que le sexe des anges est masculin. Je me réduis donc à croire à quelques axiomes de base sur la condition et l'expérience humaine que les gens auront bien du mal à réfuter.

Mon approche est normative plutôt que positive. Le positivisme fonctionne bien dans les sciences de la nature, car la nature se prête à des expériences multiples et répétées. Ces expériences permettent de construire une théorie testable par d'autres expériences. Tôt ou tard, l'une de ces expériences réfutera la théorie. Alors il faudra en construire une nouvelle, et ainsi de suite.

Dans les sciences sociales, humaines et morales, cette approche ne fonctionne pas. L'homme ne se prête pas à l'expérience parce qu'il a un libre-arbitre. Mettez-le dans la même situation deux fois de suite, et il peut très bien décider de réagir d'une certaine manière la première fois, et d'une manière complètement différente la seconde. Rien que pour vous embêter.

Vouloir importer les méthodes positivistes dans les sciences humaines, c'est considérer les hommes comme des électrons. Il faut donc procéder de manière opposée et fonder une théorie normative précisément sur le fait que l'homme possède le libre-arbitre. Même les Papous seront d'accord qu'un être humain est capable de choisir délibérément ses actions.

A suivre...

Action humaine

La première phrase du chef d'œuvre de Ludwig von Mises, L'Action humaine (PUF, 1985), est d'une simplicité trompeuse. Cette petite phrase qui n'a l'air de rien suffit à fonder le seul système philosophique cohérent et réaliste. A première vue elle a l'air complètement évidente, et pourtant quand on y réfléchit bien la plupart de ce qu'on lit dans les journaux et qu'on entend à la télé est incompatible avec elle et donc faux.

C'est: "L'action humaine est un comportement intentionnel."

L'homme (au sens large, qui inclut la femme bien sûr...) est capable de prendre conscience de ses désirs, de formuler un objectif, de reconnaître son environnement, d'évaluer les moyens à sa disposition, de prendre une décision et d'agir.

Le groupe Chagrin d'Amour l'a exprimé plus crûment dans le titre de sa chanson: "Chacun fait c'qui lui plait".

Comme j'ai dit précédemment, c'est ce qui différencie l'homme de l'électron. C'est pour cela que tout système moral, social et politique doit se fonder sur le fait que l'homme exerce sa volonté librement en réponse aux conditions extérieures. Ignorer cette liberté de choix et d'action intrinsèque à la condition humaine, c'est ravaler l'homme au rang de la bête ou du robot sans conscience.

Pourtant les politiciens le font sans vergogne tous les jours! Quand ils défendent n'importe quelle mesure démagogique, ils font exprès d'ignorer la seule question d'importance: comment les gens vont-ils y réagir et adapter leur comportement? L'impact direct, le seul qu'ils mettent en avant, sera minuscule par rapport à l'impact indirect dû au fait que les gens adapteront leur comportement aux nouvelles conditions.

Par exemple: si on relève le SMIC de 10%, les employeurs vont réagir en n'embauchant pas les débutants et les gens sous-qualifiés, ce qui augmentera inéluctablement le chômage. Les employeurs sont des hommes comme les autres, et si ça coûte moins cher à leur entreprise de tourner en sous-capacité que de surpayer quelqu'un de peu productif, ils n'embaucheront personne. Nier ce fait, c'est nier la nature humaine.

Ce problème fondamental de l'incitation a provoqué la chute de l'URSS et de tous les systèmes communistes totalitaires. Quand on confisque la production individuelle, l'individu produit le moins possible. Le seul moyen d'y remédier est de recourir à la violence à grande échelle. En comparant le taux de croissance de l'URSS au nombre de personnes exécutées par an, on voit une corrélation positive de plus de 90%. Ce fut tout aussi évident dans le secteur agricole: l'URSS était au bord de la famine quand toute la terre était collectivisée, et la production alimentaire a immédiatement doublé le jour où juste 5% des terres arables ont été ouvertes à la propriété privée.

Le marxisme-léninisme a fait l'erreur fondamentale d'attribuer à une classe sociale, en l'occurrence le prolétariat, une volonté d'agir qui est en fait le propre de l'individu. Cette erreur s'appelle anthropomorphisme. Désolé de rappeler une évidence, mais seul l'homme possède un cerveau qui commande à son corps d'agir. L'homme qui va dîner à la pizzeria du coin plutôt qu'au restaurant chinois, la femme qui choisit un homme plutôt qu'un autre pour être le père de ses enfants, quelqu'un qui décide de travailler dans la finance au lieu de l'aéronautique, c'est ça qui fait tourner le monde, ma chère dame... Une collectivité n'est ni plus ni moins que la juxtaposition de volontés individuelles souveraines.

Ayant établi que la seule chose qui compte en ce bas monde est ce qui se passe dans la petite tête de l'homme au moment exact où il choisit une action plutôt qu'une autre ou qu'une inaction, comment progresser? En spécifiant ce qu'il doit choisir: un comportement généreux ou égoïste, matérialiste ou spirituel, émotionnel ou intellectuel, tourné vers l'immédiat ou le futur, frileux ou courageux, raffiné ou vulgaire, séduisant ou laid, frénétique ou léthargique? Que nenni! Ce serait gravement attenter à sa liberté de choix que de fourrer notre nez là-dedans... C'est précisément ce qui fait la beauté et l'universalité de la vision libérale que nous admettons tous ces choix sans en juger aucun. Certains seront généreux et d'autres seront égoïstes, le même homme pourra être matérialiste un jour et spirituel le lendemain, et ainsi de suite. La reine d'Angleterre Elisabeth I a dit fort sagement qu'il ne fallait pas "ouvrir les fenêtres de l'âme des hommes".

Alors que faire? La seule tâche qui reste est de caractériser les conditions de l'exercice de cette liberté. Par exemple, quels moyens un homme peut-il employer pour agir? A priori, il peut utiliser tout ce qui est à sa disposition, c'est-à-dire tout ce qu'il possède. Mais un homme a-t-il le droit d'utiliser les outils appartenant à un autre? Et après que l'action d'un homme a produit certains fruits, à qui appartiennent-ils? Tout ceci ouvre la question cruciale de la propriété privée.

A suivre...

Propriété privée

La nature de l'homme est d'être libre de choisir ses actions suivant les objectifs qu'il se donne et les conditions extérieures. Mais cette notion de liberté est complètement abstraite, voire inutile, si l'on ne précise pas quels moyens il peut employer à cette fin.

Le libéralisme implique-t-il que chacun est libre de faire n'importe quoi? Non, sauf si on est seul sur une île déserte. Dans le monde réel, tout le monde ne pourrait pas être libres de faire n'importe quoi en même temps, sinon ça provoquerait des contradictions. Si monsieur A veut blesser monsieur B et que monsieur B veut garder son corps intact, ils ne peuvent pas réussir tous les deux.

Il est donc essentiel de savoir où s'arrête le champ d'action de la liberté d'un homme donné et où commence celle de son voisin. Cette frontière définit la propriété privée de monsieur A par opposition à celle de monsieur B. Monsieur A est complètement libre de faire ce qu'il veut avec sa propriété privée, à condition qu'il n'empiète pas sur celle de monsieur B. Et vice-versa.

Premièrement, un homme possède son propre corps. Sinon il serait esclave, et non libre. Cela semble évident, et pourtant ce premier principe est bafoué tous les jours.

Si un homme veut injecter des drogues dans son corps, ça ne regarde que lui, puisqu'il possède son corps. Les libéraux demandent donc la légalisation immédiate de toutes les drogues. Ceci aurait pour conséquence heureuse de stopper les activités criminelles liées au trafic de drogue, et les revenus que les mafias tirent de ce trafic. Par exemple, il existe 751 cités d'immigrés en France où les trafiquants de drogue usent de leur argent, leur force et leur autorité pour empêcher les services de sécurité de pénétrer et de protéger les honnêtes gens. Ce phénomène disparaîtra complètement quand on achètera de la cocaïne au supermarché.

Tout aussi important, cela retirerait aux gouvernements leur meilleure excuse pour s'immiscer dans les affaires financières des gens normaux. En effet, la plupart des lois récentes entravant les mouvements internationaux de capitaux sont ostensiblement justifiées au nom de la lutte contre le blanchiment de l'argent de la drogue, alors qu'en réalité elles visent à empêcher les honnêtes gens de protéger l'argent acquis à la sueur de leur front contre les tentatives de prédation gouvernementale.

Deuxièmement, un homme possède le fruit de son labeur, créé par l'exercice de son corps, cerveau inclus. C'est pourquoi les soi-disant politiques de redistribution de la richesse sont vides de sens. Comme toute richesse a forcément été créée par quelqu'un, elle lui appartient. Il n'existe pas de richesse «détachée de son créateur» à redistribuer. Ce cas particulier illustre une maxime plus générale: la politique est l'art de spolier les producteurs.

Troisièmement, un homme peut acquérir les ressources qui n'appartenaient à personne en y mélangeant son labeur. Aux premiers temps de l'agriculture, si vous défrichiez un terrain vierge, y installiez votre ferme et y plantiez des poireaux, alors le terrain vous appartenait. Dans la vie moderne, cet exemple agricole n'est plus aussi pertinent, mais le principe demeure.

Quatrièmement, tout homme possède les biens qu'il a acquis par l'échange librement consenti avec d'autres. Un cas particulier est quand l'un des deux biens échangés est une certaine quantité de monnaie, auquel cas on parle d'achat ou de vente, et non de troc. Un autre cas particulier est quand on échange un bien contre un service, ou un service contre un autre. Un dernier cas particulier est quand on échange un bien ou un service contre rien du tout, auquel cas on parle de don. Tant que les deux parties impliquées dans l'échange sont consentantes, il n'y a rien à redire.

Cette théorie de la propriété privée est due au grand penseur des lumières John Locke (Second traité sur le gouvernement, 1690), que Voltaire a découvert et apprécié lors de son exil forcé en Angleterre. Elle est universelle et même les enfants de 3 ans la comprennent instinctivement. On l'appelle généralement la théorie des droits naturels.

Cette théorie permet de délimiter clairement ce qui est acceptable dans les relations sociales de ce qui ne l'est pas. Monsieur A est libre de faire tout ce qu'il veut avec ce qui lui appartient, à condition qu'il n'empiète pas sur la propriété de Monsieur B sans son consentement. Pour revenir à l'exemple du départ, Monsieur A n'a pas le droit de blesser Monsieur B à moins que ce dernier ne l'y ait préalablement invité. Néanmoins, au Royaume-Uni, même si Monsieur B demande à Monsieur A de le blesser (mettons qu'il soit masochiste), le juge les flanquera tous les deux en taule!

Violer les droits naturels est l'activité favorite de l'état.

A suivre...

Axiome de non-agression

Avoir clairement défini la notion de propriété privée nous permet d'énoncer l'axiome de non-agression tel qu'il fut popularisé par le philosophe libertarien Murray Rothbard dans son livre Pour une nouvelle liberté: le manifeste libertarien (1973).

Aucun individu ni groupe d’individus n’a le droit d’agresser quelqu’un en portant atteinte à sa personne ou à sa propriété. On peut appeler cela « axiome de non-agression », « agression » étant défini comme prendre l’initiative d’utiliser la violence physique (ou de menacer de l’utiliser) à l’encontre d’une autre personne ou de sa propriété. Agression est donc synonyme d’invasion, d’intrusion.

Pour être réaliste, il faut ajouter que la menace immédiate et tangible d'une agression constitue elle-même une agression. Pointer un revolver chargé sur la tête de quelqu'un en lui disant qu'on va tirer constitue une agression même avant que la balle ne jaillisse du canon. Par contre, simplement se balader dans la rue avec un revolver visible à la ceinture ne constitue pas une menace en soi: c'est une mesure de précaution élémentaire contre le risque d'une attaque inattendue. Les libéraux sont bien sûr favorables au port d'armes. On ne peut être vraiment libre que si chacun stocke en permanence chez lui un fusil d'assaut et une caisse de munitions comme en Suisse.

Une fois que quelqu'un s'est rendu coupable d'agression, sa victime a le droit d'utiliser la violence pour le neutraliser, réparer les dégâts et extraire une compensation proportionnée à l'agression.

Par exemple, si je vois Pierre mettre la main dans la poche de Paul dans la rue, lui subtiliser son portefeuille et partir avec, je ne peux pas savoir a priori qui est l'agresseur et qui est la victime. Peut-être ce portefeuille appartenait-il à Pierre et ce dernier ne faisait-il que récupérer le bien volé par Paul la veille? Donc le vol et la violence peuvent être justifiés ou pas, suivant qu'ils constituent une initiation ou une réparation. C'est pour cela que l'axiome de non-agression dépend si intimement de la définition correcte des droits de propriété.

Même après que les dommages sont réparés, la victime peut continuer à user de la violence légitime pour extraire une compensation à condition que celle-ci soit proportionnelle à l'offense. Si un adolescent vient chez vous et crache son chewing­-gum par terre, vous pouvez le lui faire nettoyer (réparation). Comme compensation proportionnée, vous pouvez en plus le forcer à descendre la poubelle de la cuisine dans le vide-ordure, mais pas lui briser les os d'un doigt à coups de marteau.

Passer un contrat ou accord avec quelqu'un puis, le moment venu, ne pas respecter sa part du marché constitue du vol, c'est-à-dire l'initiation d'une agression contre la propriété privée de l'autre.

Affecter la valeur de la propriété de quelqu'un sans intrusion physique sur sa propriété privée ne constitue pas une agression. Si j'ouvre une boulangerie qui vend du meilleur pain que le vieux boulanger du coin et que tous ses clients le désertent, je ne lui ai pas volé son fonds de commerce. Si quinze bordels s'ouvrent dans ma rue et que mon quartier acquiert une réputation un peu olé-olé, cela affectera sans doute négativement la valeur de revente de ma maison familiale, mais cela ne constituera pas une agression me donnant droit à réparation et compensation. Profitons-en pour noter au passage que les libéraux ne sont pas plus opposés à la prostitution qu'à n'importe quel autre échange entre parties consentantes.

Par contre la plupart des activités de l'état violent l'axiome de non-agression. L'impôt, par exemple, est un vol initié avec le soutien de la force publique (juges, gendarmes et prisons). Le service militaire obligatoire, même en temps de guerre, est de l'esclavage. Les policiers qui font appliquer les lois contre la consommation de drogue, le port d'armes et la prostitution sont autant d'agresseurs impunis.

Aussitôt énoncé l'axiome de non-agression se pose la question des arrangements les mieux à même de le faire respecter à moindre coût (en ressources, en temps, en sang). Ne soyons pas naïfs, la nature humaine n'est pas complètement innocente: il peut sembler à certains plus tentant de voler les biens produits par leurs voisins que de faire l'effort de les produire eux-mêmes. Mais il devrait commencer à être évident que l'état, qui se présente hypocritement comme garant de l'ordre et de la justice, est en fait la pire des institutions imaginables pour faire respecter l'axiome de non-agression.

A suivre...

L'état

Les libéraux classiques de l'école française du XIXème siècle pensaient que les seules fonctions de l'état étaient: 1) de garantir les droits de propriété, c'est-à-dire la liberté pour chacun de faire ce qui lui plaît tant qu'il n'empiète pas sur son voisin, et 2) de faire respecter l'axiome de non-agression.

Pour un temps l'état s'est peu ou prou cantonné à ce rôle, surtout aux Etats-Unis jusqu'à la guerre de sécession (1861) et en Angleterre jusqu'à la première guerre mondiale (1914). Même en France, sous la Restauration le gouvernement Dessolle de 1819 était constitué exclusivement de ministres libéraux. L'on pensait alors qu'une certaine tradition conservatrice, la séparation des pouvoirs et la peur de la tyrannie suffiraient à confiner l'état dans son rôle de "veilleur de nuit".

Un seul coup d'œil à la situation actuelle prouve combien cet espoir fut vain. L'état est partout. Les états ont tué plus de 140 millions de leurs propres citoyens au XXème siècle, hors guerres mondiales. L'état détourne plus de 50% de la richesse produite annuellement par ses sujets, contre moins de 10% au XIXème siècle. Ronald Reagan a bien résumé la philosophie de l'état moderne:

Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue de bouger, régulez-le. Si ça arrête de bouger, subventionnez-le.

Le pire c'est que les gens trouvent ça normal. Pas étonnant quand on sait que les enfants apprennent le concept de liberté dans des écoles qui appartiennent à l'état ou dont le programme est écrit par l'état: le lavage de cerveau est total.

Les producteurs d'idées, enseignants et professeurs d'université, mais aussi journalistes, vedettes de la télé et de la radio, artistes, soi-disant experts et commentateurs, écrivains, sont globalement en cheville avec l'état pour contrôler la pensée de la masse. Ils font semblant de s'affronter ostensiblement, de se déchirer sur des points de détail, pour mieux masquer une connivence de fond sur la nécessité, la noblesse et la genérosité du rôle de l'état. C'est exactement comme le clergé de l'Ancien Régime qui répétait à la populace que le monarque régnait de droit divin. C'est pour cela qu'ils exècrent le libéralisme, qu'ils le vilipendent, le déforment et le détournent: la seule chose qui leur fait vraiment peur, ce serait que les gens apprennent à penser par eux-mêmes et à réclamer leur liberté confisquée.

La condition de l'homme moderne est celle des prisonniers dans l'allégorie de la caverne de Platon. Le libéral est celui qui a réussi le premier à se détacher de ses chaînes.

Comment en est-on arrivé là ? Les libéraux classiques ont fait une erreur fatale, celle de croire que le meilleur arrangement pour faire respecter la liberté, la propriété et l'axiome de non-agression est de confier cette mission à l'état. En fait c'est le pire des arrangements.

En effet l'état est une agence définie par deux caractéristiques. Premièrement, l'état détient le monopole de la décision ultime (juridiction) sur un territoire donné, monopole qu'il fait respecter par la force. C'est-à-dire qu'il est l'arbitre ultime dans chaque conflit, y compris les conflits où il est partie prenante. Deuxièmement, l'état détient le monopole territorial de la taxation. C'est-à-dire qu'il fixe de manière unilatérale le prix que les citoyens doivent payer pour la production de la loi et de l'ordre.

De manière prévisible, si on ne peut faire appel qu'à l'état pour obtenir justice, la justice sera systématiquement biaisée en faveur de l'état. Au lieu de résoudre les conflits, l'agence qui détient le monopole de la décision ultime provoquera des conflits afin de les régler en sa faveur. Pire, alors que la qualité de la justice baissera du fait de cette situation de monopole, son prix augmentera. Motivés comme tout le monde par leur intérêt propre mais doués du pouvoir de taxer, le but des agents de l'état est toujours le même: maximiser leurs revenus et minimiser l'effort productif.

(Par parenthèse, la notion que les agents de l'état sont motivés par leur intérêt propre comme tous les autres agents économiques est devenue tellement indiscutable que le prix Nobel d'économie 1986 a récompensé James Buchanan, le fondateur de la théorie des "choix publics" qui est toute entière basée sur cette notion. En France il suffit de voir les syndicats des services publics manifester pour extorquer toujours plus d'argent et d'avantages aux contribuables, souvent en prenant en otage ces mêmes contribuables qui sont aussi utilisateurs des transports en commun, pour s'en rendre compte.)

Interdire aux gens de se fournir chez un concurrent permet de fixer un prix supérieur à la valeur du service rendu, donc c'est du vol. Il ne fallait pas demander à ce voleur qu'est l'état de garantir vos droits de propriété...

De même, détenir le monopole territorial de l'usage de la force permet de rentrer par effraction chez les gens sous toutes sortes de prétextes (lutte contre la prostitution, la possession de drogue, d'armes à feu), donc c'est une agression. Il ne fallait pas demander à cet agresseur qu'est l'état de faire respecter l'axiome de non-agression...

Il était inévitable que l'état ne se cantonne pas dans son rôle de "veilleur de nuit" bien longtemps. Il a utilisé les pouvoirs qu'on lui avait confiés pour voler et asservir ceux-là même qui lui avaient confié ces pouvoirs.

Cette démonstration a été avancée pour la première fois par le plus lucide et le plus cohérent des libéraux classiques, Gustave de Molinari, dans les Soirées de la rue Saint-Lazare (1849), plus précisément dans sa "Onzième Soirée". Malheureusement son œuvre visionnaire n'a pas eu l'impact politique qu'elle méritait. Il a fallu attendre les années 1970 pour qu'elle soit reprise et développée par certains économistes de l'école autrichienne, là encore les plus lucides et les plus cohérents. Un exemple récent est le dernier article de Hans-Hermann Hoppe fustigeant l'intervention américaine en Irak, bel exemple d'une démocratie causant la mort de 655 000 personnes qui ne l'avaient pas préalablement agressée ni directement menacée.

En somme, les bâtiments publics sont les casernes d'une armée d'occupation qui passait par là et qui, au lieu de continuer son chemin pour aller piller les producteurs d'à-côté comme le faisaient jadis les tribus de guerriers nomades, a trouvé plus confortable de s'installer sur place pour piller le même groupe de producteurs jusqu'à la fin des temps. On appelle ça la théorie du "bandit stationnaire".

C'est assez évident dans le cas de la conquête brutale d'un état par une bande d'envahisseurs. Un seul coup d'œil à la Tour de Londres bâtie par Guillaume le Conquérant pour exploiter sa victoire d'Hastings (1066) suffit pour s'en convaincre. Dans le cas d'un état démocratique moderne, c'est exactement pareil.

A suivre...

Démocratie

Tant qu'il y aura un état, celui-ci abusera de sa force. Que ses dirigeants soient choisis héréditairement comme en monarchie, par vote comme en démocratie, ou même par tirage au sort n'y change strictement rien.

Si tant est que le mode de désignation de ceux à la tête de l'état puisse influer sur le caractère plus ou moins nocif de cet état, le mode démocratique est particulièrement déviant et dégénéré, comme le pensaient déjà Aristote et les révolutionnaires américains signataires de la déclaration d'indépendance de 1776.

La référence absolue dans ce domaine est l'excellent livre de Hans-Hermann Hoppe intitulé Democracy : The God that Failed (2001) qui a été traduit en allemand, polonais, italien, coréen et espagnol, mais malheureusement pas encore en français. On ne saurait trop le recommander, c'est un livre qui ouvre les yeux.

Un des problèmes majeurs en démocratie est que chacun peut avoir une chance d'entrer dans l'appareil d'état, soit en passant un concours de fonctionnaire, soit en se présentant à une élection. Cette caractéristique affaiblit considérablement la résistance naturelle des individus contre l'accroissement du pouvoir de l'état à leurs dépens, car ils se disent qu'eux aussi (ou leurs enfants) pourront peut-être un jour passer du bon côté de la barrière pour en profiter. Quand le roi envoyait ses collecteurs d'impôts cela donnait souvent lieu à des émeutes, parce qu'on percevait bien la différence entre la classe des exploiteurs et celle des exploités, mais maintenant cette perception est brouillée.

Une autre implication est que ce processus de recrutement ouvert dans l'appareil étatique permet de sélectionner scientifiquement parmi un large éventail de candidats les moins scrupuleux, les plus adeptes à manipuler les foules et à leur faire avaler n'importe quelle couleuvre. Plus un roi était incompétent et plus ses sujets étaient ingouvernables donc libres, et par accident génétique il y eut beaucoup de rois incompétents. Mais un président de la république élu à l'issue d'une compétition impitoyable ne peut être qu'extrêmement habile dans l'art de tondre les moutons-contribuables sans que ces derniers ne renâclent trop.

De plus, les échéances régulières de mandat font que les dirigeants des pays démocratiques ont forcément une courte vue. Ils ne peuvent pas léguer le pays à leur fils, contrairement aux rois, donc n'ont aucun intérêt à l'améliorer pour le long terme. Au contraire, à chaque occasion de sacrifier les perspectives de long terme d'un pays pour leur intérêt personnel immédiat, ils le feront.

De toute façon il n'y a rien de magique dans la notion de majorité: le fait que 50,1 % des votants choisissent un candidat ne leur donne pas le droit de l'imposer aux autres 49,9%. Les hommes politiques eux-mêmes le savent bien, puisqu'à l'échelon de l'union européenne tout affaiblissement de la règle de l'unanimité est qualifié d'atteinte à la souveraineté nationale: c'est le droit pour une coalition de pays étrangers d'imposer à la France une mesure à laquelle elle ne consent. Cela prouve bien que la démocratie n'est rien d'autre que la tyrannie de la majorité.

En plus il faut souligner que cette majorité artificielle n'est atteinte qu'en limitant les choix des électeurs: si on comptait les abstentionnistes et si on laissait tous les candidats en lice, personne ne récolterait plus de 10%. Même parmi ces 10%, il y aura très peu d'électeurs qui seront d'accord avec toutes les mesures prises par le président durant son quinquennat. Ça fait beaucoup de cocus...

Une caractéristique particulièrement scandaleuse du suffrage universel est que ceux qui vivent du budget de l'état (fonctionnaires, élus, RMIstes et chefs de grosses entreprises recevant des subventions publiques) ont le droit de voter pour choisir le montant du budget de l'état. Chaque être humain agissant pour son intérêt tel qu'il le voit, ils vont avoir systématiquement tendance à voter pour augmenter la taille du budget, puisqu'ils y puisent plus qu'ils n'y versent. C'est comme si dans une ruelle mal famée à la tombée de la nuit deux bandits et une victime votaient démocratiquement à la majorité pour déterminer le montant et la direction de la redistribution à effectuer. Ce vote ne saurait maquiller le fait que c'est du vol pur et simple. La moindre des choses, donc, serait de supprimer immédiatement le droit de vote aux fonctionnaires et à tous ceux qui puisent dans le trésor public plus qu'ils n'y versent.

Le système actuel n'est d'ailleurs qu'un succédané de démocratie car il refuse au nom de la souveraineté nationale le premier des droits démocratiques: celui de faire sécession. Si une communauté territoriale de quelque taille que ce soit (région, département, commune, pâté de maisons) votait démocratiquement pour se séparer de la France, et prenait des mesures pratiques pour mettre en œuvre cette nouvelle indépendance, la France enverrait ses chars d'assaut. Alors qui détient vraiment le pouvoir, les Français ou la clique qui les gouverne?

Au début de la République Française en 1792, le suffrage censitaire garantissait un minimum de rationalité au processus politique. Quand seuls ceux qui possèdent des maisons et des terrains (dont ils ne veulent pas voir la valeur chuter) et qui paient l'impôt élisent les gouvernants, ces derniers auront moins tendance à faire n'importe quoi. Mais une fois le virus de la démocratie injecté, il se propage par le mécanisme suivant: tout homme politique ambitieux a intérêt à se faire le champion de l'extension du droit de vote, car les nouveaux votants qu'il aura inclus lui seront reconnaissants et devraient voter pour lui. A terme, tout le monde pourra voter, même ceux qui n'ont aucune raison de mettre leur bulletin de vote au service de l'intérêt général. Hans-Hermann Hoppe l'illustre brillamment dans son article intitulé A bas la démocratie:

Imaginez qu'aux États-Unis on étende le droit de vote aux enfants de sept ans. Le gouvernement ne serait peut-être pas composé d'enfants, mais ses politiques, selon toute probabilité, refléteraient le "souci légitime" des enfants de disposer d'un accès "suffisant" voire "égal" à des hamburgers, des limonades et des vidéocassettes "gratuits".

C'est ainsi qu'après 1792 on a rabaissé le critère d'impôt minimum à payer pour avoir le droit de vote, puis on l'a étendu à tous les hommes, puis à toutes les femmes, et que Valéry Giscard d'Estaing a réduit l'âge minimum de 21 ans à 18 ans. Et au fil du temps tous ces "progrès" ont inévitablement accentué la propension de l'état à accaparer et redistribuer la richesse créée par les producteurs.

A suivre...

Redistribution

Une des caractéristiques les plus funestes de la démocratie est sa tendance inéluctable à redistribuer les richesses de ceux qui les ont produites vers ceux qui ne les ont pas produites. Comme je l'ai déjà noté, un seul mot décrit correctement ce phénomène: c'est le mot "vol".

Dès l'antiquité, la raison pour laquelle Aristote voyait dans la démocratie une forme de gouvernement déviant et dégénéré est parce qu'elle a pour but le seul intérêt des pauvres au détriment de l'intérêt général de la société toute entière. Par exemple le taux d'imposition progressif, où les riches paient un plus gros pourcentage de leurs revenus que les pauvres, était une idée révolutionnaire avancée par Karl Marx et Friedrich Engels dans le Manifeste du Parti communiste de 1847 - maintenant c'est banal. Il est fascinant de voir comment cette redistribution qu'on savait bien être du vol il y a un siècle et demi est aujourd'hui considérée comme acceptable par les bien-pensants.

Outre le problème moral, je m'insurge contre cette manie redistributrice, fléau de la société occidentale moderne, en détaillant ses trois coûts: 1) elle réduit l'incitation des éléments les plus productifs à travailler plus et mieux en les privant du fruit de leurs efforts; 2) elle réduit l'incitation des éléments les moins productifs à faire l'effort de s'en sortir par leurs propres moyens en récompensant leur négligence; 3) elle détourne des activités productives la caste des fonctionnaires chargés de mettre en place le processus de redistribution et qui en profitent pour se sucrer au passage. Clairement l'implication conjuguée de ces trois effets est que, plus il y a de redistribution, moins il y a de richesses créées, et plus les gens s'appauvrissent relativement à ce qu'ils auraient pu réaliser en l'absence de redistribution.

J'ajoute que la charité, la générosité sont des impulsions humaines innées qu'on retrouve dans toutes les sociétés, des plus primitives aux plus avancées. Par exemple les Américains sont dix fois plus généreux que les Français. Le principe de l'action humaine dit que chacun agit dans son intérêt tel qu'il le définit lui-même au sens le plus large, et pas seulement au sens strictement matérialiste, ce qui inclut souvent le plaisir de donner à l'autre. Donc penser qu'en l'absence de solidarité imposée par l'état il n' y en aurait aucune est parfaitement idiot. Il y en aurait une, elle serait juste de nature et de niveau différents. Mais qui peut dire quels sont la nature et le niveau "corrects" de générosité? La redistribution de 2% des revenus? De 15% ? 50% ? Personne ne sait, et surtout pas l'état. Comme la volonté de donner ne peut venir que du cœur de l'homme, il n'existe aucun point de référence objectif pour en juger. Le seul niveau optimal est celui qui n'est pas forcé. Il faut laisser les gens donner ce qu'ils veulent à qui ils veulent, car toute coercition dans ce domaine en particulier est horrible. Souvenons-nous que la différence entre le don de soi qui est librement consenti et celui qui ne l'est pas est cruciale: c'est la différence entre faire l'amour et être violée.

Finalement je dois montrer du doigt l'échec spectaculaire du pays qui avait porté le principe de la redistribution des richesses à son paroxysme en nationalisant pratiquement tous les moyens de production: l'URSS. Le système communiste s'est effondré en 1989 parce qu'il a grippé le mécanisme naturel d'ajustement des prix par le libre jeu de l'offre et de la demande, étouffant les signaux de rareté ou d'abondance diffusés à travers toute l'économie par les prix qui montent ou qui baissent en temps réel, empêchant ainsi toute coordination entre les multiples intervenants, tout calcul de la manière la plus économe en ressources rares de produire tel ou tel bien, exactement comme l'avait prévu Ludwig von Mises juste trois mois après la prise du pouvoir par Lénine.

A suivre...

Onzième soirée de la rue Saint-Lazare

L'article ci-dessous propose la seule solution authentiquement libérale au problème de l'état. C'est la onzième "Soirée de la rue Saint-Lazare" (1849) par Gustave de Molinari, membre de la société d'économie politique de Paris. Elle oppose trois interlocuteurs: un conservateur, un socialiste et un économiste. La thèse de Molinari a été reprise, développée et étoffée par des économistes de l'école "autrichienne" du XXème siècle tels que Murray Rothbard et Hans-Hermann Hoppe. J'ai coupé quelques paragraphes au début pour rentrer plus vite dans le but du sujet.

SOMMAIRE : Du gouvernement et de sa fonction. — Gouvernements de monopole et gouvernements communistes. — De la liberté de gouvernement. — Du droit divin. — Vices des gouvernements de monopole. — La guerre est la conséquence inévitable de ce système. — De la souveraineté du peuple. — Comment on perd sa souveraineté. — Comment on la recouvre. — Solution libérale. — Solution communiste. — Gouvernements communistes. — Leurs vices. — De l'administration de la justice. — Son ancienne organisation. — Son organisation actuelle. — Insuffisance du jury. — Comment l'administration de la sécurité et celle de la justice pourraient être rendues libres. — Avantages des gouvernements libres. — Ce qu'il faut entendre par nationalité.


LE CONSERVATEUR.

Dans votre système d'absolue propriété et de pleine liberté économique, quelle est donc la fonction du gouvernement ?

L'ÉCONOMISTE.

La fonction du gouvernement consiste uniquement à assurer à chacun la conservation de sa propriété.

LE SOCIALISTE.

Bon, c'est l'État-gendarme de Jean-Baptiste Say.

A mon tour, j'ai une question à vous faire :

Il y a aujourd'hui, dans le monde, deux sortes de gouvernements : les uns font remonter leur origine à un prétendu droit divin.....

LE CONSERVATEUR.

Prétendu ! prétendu ! c'est à savoir.

LE SOCIALISTE.

Les autres sont issus de la souveraineté du peuple. Lesquels préférez-vous ?

L'ÉCONOMISTE.

Je ne veux ni des uns ni des autres. Les premiers sont des gouvernements de monopole, les seconds sont des gouvernements communistes. Au nom du principe de la propriété, au nom du droit que je possède de me pourvoir moi-même de sécurité, ou d'en acheter à qui bon me semble, je demande des gouvernements libres.

LE CONSERVATEUR.

Qu'est-ce à dire ?

L'ÉCONOMISTE.

C'est-à-dire, des gouvernements dont je puisse, au gré de ma volonté individuelle, accepter ou refuser les services.

LE CONSERVATEUR.

Parlez-vous sérieusement ?

L'ÉCONOMISTE.

Vous allez bien voir. Vous êtes partisan du droit divin, n'est-il pas vrai ?

LE CONSERVATEUR.

Depuis que nous vivons en république, j'y incline assez, je l'avoue.

L'ÉCONOMISTE.

Comment donc se fait-il que tous les peuples aspirent à se débarrasser des monarchies de droit divin ? Comment se fait-il que les vieux gouvernements de monopole soient les uns ruinés, les autres sur le point de l'être ?

LE CONSERVATEUR.

Les peuples sont saisis de vertige.

L'ÉCONOMISTE.

Voilà un vertige bien répandu ! Mais, croyez-moi, les peuples ont de bonnes raisons pour se débarrasser de leurs vieux dominateurs. Le monopole du gouvernement ne vaut pas mieux qu'un autre. On ne gouverne pas bien, et surtout on ne gouverne pas à bon marché, lorsqu'on n'a aucune concurrence à redouter, lorsque les gouvernés sont privés du droit de choisir librement leurs gouvernants. Accordez à un épicier la fourniture exclusive d'un quartier, défendez aux habitants de ce quartier d'acheter aucune denrée chez les épiciers voisins, ou bien encore de s'approvisionner eux-mêmes d'épiceries, et vous verrez quelles détestables drogues l'épicier privilégié finira par débiter et à quel prix ! Vous verrez de quelle façon il s'engraissera aux dépens des infortunés consommateurs, quel faste royal il étalera pour la plus grande gloire du quartier... Eh bien ! ce qui est vrai pour les services les plus infimes ne l'est pas moins pour les services les plus élevés. Le monopole d'un gouvernement ne saurait valoir mieux que celui d'une boutique d'épiceries. La production de la sécurité devient inévitablement coûteuse et mauvaise lorsqu'elle est organisée en monopole.

C'est dans le monopole de la sécurité que réside la principale cause des guerres qui ont, jusqu'à nos jours, désolé l'humanité.

LE CONSERVATEUR.

Comment cela ?

L'ÉCONOMISTE.

Quelle est la tendance naturelle de tout producteur, privilégié ou non ? C'est d'élever le chiffre de sa clientèle afin d'accroître ses bénéfices. Or, sous un régime de monopole, quels moyens les producteurs de sécurité peuvent-ils employer pour augmenter leur clientèle ?

Les peuples ne comptant pas sous ce régime, les peuples formant le domaine légitime des oints du Seigneur, nul ne peut invoquer leur volonté pour acquérir le droit de les administrer. Les souverains sont donc obligés de recourir aux procédés suivants pour augmenter le nombre de leurs sujets : 1° acheter à prix d'argent des royaumes ou des provinces ; 2° épouser des héritières apportant en dot des souverainetés ou devant en hériter plus tard ; 3° conquérir de vive force les domaines de leurs voisins. Première cause de guerre !

D'un autre côté, les peuples se révoltant quelquefois contre leurs souverains légitimes, comme il est arrivé récemment en Italie et en Hongrie, les oints du Seigneur sont naturellement obligés de faire rentrer dans l'obéissance ce bétail insoumis. Ils forment dans ce but une sainte alliance et ils font grand carnage des sujets révoltés, jusqu'à ce qu'ils aient apaisé leur rébellion. Mais si les rebelles ont des intelligences avec les autres peuples, ceux-ci se mêlent à la lutte, et la conflagration devient générale. Seconde cause de guerre !

Je n'ai pas besoin d'ajouter que les consommateurs de sécurité, enjeux de la guerre, en payent aussi les frais.

Tels sont les avantages des gouvernements de monopole.

LE SOCIALISTE.

Vous préférez donc les gouvernements issus de la souveraineté du peuple. Vous mettez les républiques démocratiques au-dessus des monarchies et des aristocraties. A la bonne heure !

L'ÉCONOMISTE.

Distinguons, je vous en prie. Je préfère les gouvernements issus de la souveraineté du peuple. Mais les républiques que vous nommez démocratiques ne sont pas le moins du monde l'expression vraie de la souveraineté du peuple. Ces gouvernements sont des monopoles étendus, des communismes. Or, la souveraineté du peuple est incompatible avec le monopole et le communisme.

LE SOCIALISTE.

Qu'est-ce donc à vos yeux que la souveraineté du peuple ?

L'ÉCONOMISTE.

C'est le droit que possède tout homme de disposer librement de sa personne et de ses biens, de se gouverner lui-même.

Si l'homme-souverain a le droit de disposer, en maître, de sa personne et de ses biens, il a naturellement aussi le droit de les défendre. Il possède le droit de libre défense.

Mais chacun peut-il exercer isolément ce droit ? Chacun peut-il être son gendarme et son soldat ?

Non ! pas plus que le même homme ne peut être son laboureur, son boulanger, son tailleur, son épicier, son médecin, son prêtre.

C'est une loi économique, que l'homme ne puisse exercer fructueusement plusieurs métiers à la fois. Aussi voit-on, dès l'origine des sociétés, toutes les industries se spécialiser, et les différents membres de la société se tourner vers les occupations que leurs aptitudes naturelles leur désignent. Ils subsistent en échangeant les produits de leur métier spécial contre les divers objets nécessaires à la satisfaction de leurs besoins.

L'homme isolé jouit, sans conteste, de toute sa souveraineté. Seulement ce souverain, obligé d'exercer lui-même toutes les industries qui pourvoient aux nécessités de la vie, se trouve dans un état fort misérable.

Lorsque l'homme vit en société, il peut conserver sa souveraineté ou la perdre.

Comment perd-il sa souveraineté ?

Il la perd lorsqu'il cesse, d'une manière totale ou partielle, direct ou indirecte, de pouvoir disposer de sa personne et de ses biens.

L'homme ne demeure complètement souverain que sous un régime de pleine liberté. Tout monopole, tout privilège est une atteinte portée à sa souveraineté.

Sous l'ancien régime, nul n'ayant le droit de disposer librement de sa personne et de ses biens, nul n'ayant le droit d'exercer librement toute industrie, la souveraineté se trouvait étroitement limitée.

Sous le régime actuel, la souveraineté n'a point cessé d'être atteinte par une multitude de monopole et de privilèges, restrictifs de la libre activité des individus. L'homme n'a pas encore pleinement recouvré sa souveraineté.

Comment peut-il la recouvrer ?

Deux écoles sont en présence, qui donnent à ce problème des solutions tout opposées : l'école libérale et l'école communiste.

L'école libérale dit : Détruisez les monopoles et les privilèges, restituez à l'homme son droit naturel d'exercer librement toute industrie et il jouira pleinement de sa souveraineté.

L'école communiste dit, au contraire : Gardez-vous d'attribuer à chacun le droit de produire librement toutes choses. Ce serait l'oppression et l'anarchie ! attribuez ce droit à la communauté, à l'exclusion des individus. Que tous se réunissent pour organiser en commun toute industrie. Que l'État soit le seul producteur et le seul distributeur de la richesse.

Qu'y a-t-il au fond de cette doctrine ? On l'a dit souvent : il y a l'esclavage. Il y a l'absorption et l'annulation de la volonté individuelle dans la volonté commune. Il y a la destruction de la souveraineté individuelle.

Au premier rang des industries organisées en commun figure celle qui a pour objet de protéger, de défendre contre toute agression la propriété des personnes et des choses.

On peut dire que le roi de France avait le monopole de la défense générale, et que les seigneurs châtelains et les bourgeois des communes avaient celui de la défense locale.

Que fit la Révolution française ? elle déposséda le roi de France du monopole de la défense générale, mais elle ne détruisit pas ce monopole ; elle le remit entre les mains de la nation, organisée désormais comme une immense commune.

Les petites communes dans lesquelles se divisait le territoire de l'ancien royaume de France continuèrent de subsister. On en augmenta même considérablement le nombre. Le gouvernement de la grande commune eut le monopole de la défense générale, les gouvernements des petites communes exercèrent, sous la surveillance du pouvoir central, le monopole de la défense locale.

Mais on ne se borna pas là. On organisa encore dans la commune générale et dans les communes particulières d'autres industries, notamment l'enseignement, les cultes, les transports, etc., et l'on établit sur les citoyens divers impôts pour subvenir aux frais de ces industries ainsi organisées en commun.

Plus tard, les socialistes, mauvais observateurs s'il en fut jamais, ne remarquant point que les industries organisées dans la commune générale ou dans les communes particulières, fonctionnaient plus chèrement et plus mal que les industries laissées libres, demandèrent l'organisation en commun de toutes les branches de la production. Ils voulurent que la commune générale et les communes particulières ne se bornassent plus à faire la police, à bâtir des écoles, à construire des routes, à salarier des cultes, à ouvrir des bibliothèques, à subventionner des théâtres, à entretenir des haras, à fabriquer des tabacs, des tapis, de la porcelaine, etc., mais qu'elles se missent à produire toutes choses.

Le bon sens public se révolta contre cette mauvaise utopie, mais il n'alla pas plus loin. On comprit bien qu'il serait ruineux de produire toutes choses en commun. On ne comprit pas qu'il était ruineux de produire certaines choses en commun. On continua donc de faire du communisme réel, tout en honnissant les socialistes qui réclamaient à grands cris un communisme complet.

Que faut-il donc faire pour restituer aux hommes cette souveraineté que le monopole leur a ravie dans le passé ; et que le communisme, ce monopole étendu, menace de leur ravir dans l'avenir ?

Il faut tout simplement rendre libre les différentes industries jadis constituées en monopoles, et aujourd'hui exercées en commun. Il faut abandonner à la libre activité des individus les industries encore exercées ou réglementées dans l'État ou dans la commune.

Alors l'homme possédant, comme avant l'établissement des sociétés, le droit d'appliquer librement, sans entrave ni charge aucune, ses facultés à toute espèce de travaux, jouira de nouveau, pleinement, de sa souveraineté.

LE CONSERVATEUR.

Vous avez passé en revue les différentes industries encore monopolisées, privilégiées ou réglementées, et vous nous avez prouvé, avec plus ou moins de succès, que ces industries devraient être laissées libres pour l'avantage commun. Soit ! je ne veux pas revenir sur un thème épuisé. Mais est-il possible d'enlever à l'État et aux communes le soin de la défense générale et de la défense locale.

LE SOCIALISTE.

Et l'administration de la justice donc ?

LE CONSERVATEUR.

Oui, et l'administration de la justice. Est-il possible que ces industries, pour parler votre langage, soient exercées autrement qu'en commun, dans la nation et dans la commune.

L'ÉCONOMISTE.

Je glisserais peut-être sur ces deux communismes-là si vous consentiez bien franchement à m'abandonner tous les autres ; si vous réduisiez l'État à n'être plus désormais qu'un gendarme, un soldat ou un juge. Cependant, non !... car le communisme de la sécurité est la clef de voûte du vieux édifice de la servitude. Je ne vois d'ailleurs aucune raison pour vous accorder celui-là plutôt que les autres.

De deux choses l'une, en effet :

Ou le communisme vaut mieux que la liberté, et, dans ce cas, il faut organiser toutes les industries en commun, dans l'État ou dans la commune.

Ou la liberté est préférable au communisme, et, dans ce cas, il faut rendre libres toutes les industries encore organisées en commun, aussi bien la justice et la police que l'enseignement, les cultes, les transports, la fabrication des tabacs, etc.

LE SOCIALISTE.

C'est logique.

LE CONSERVATEUR.

Mais est-ce possible ?

L'ÉCONOMISTE.

Voyons ! S'agit-il de la justice ? Sous l'ancien régime, l'administration de la justice n'était pas organisée et salariée en commun ; elle était organisée en monopole, et salariée par ceux qui en faisaient usage.

Pendant plusieurs siècles, il n'y eut pas d'industrie plus indépendante. Elle formait, comme toutes les autres branches de la production matérielle ou immatérielles, une corporation privilégiée. Les membres de cette corporation pouvaient léguer leurs charges ou maîtrises à leurs enfants, ou bien encore les vendre. Jouissant de ces charges à perpétuité, les juges se faisaient remarquer par leur indépendance et leur intégrité.

Malheureusement ce régime avait, d'un autre côté, tous les vices inhérents au monopole. La justice monopolisée se payait fort cher.

LE SOCIALISTE.

Et Dieu sait combien de plaintes et de réclamations excitaient les épices. Témoin ces petits vers qui furent crayonnés sur la porte du Palais de Justice après un incendie :

Un beau jour dame Justice
Se mit le palais tout en feu
Pour avoir mangé trop d'épice.

La justice ne doit-elle pas être essentiellement gratuite ? Or, la gratuité n'entraîne-t-elle pas l'organisation en commun ?

L'ÉCONOMISTE.

On se plaignait de ce que la justice mangeait trop d'épices. On ne se plaignait pas de ce qu'elle en mangeait. Si la justice n'avait pas été constituée en monopole ; si, en conséquence, les juges n'avaient pu exiger que la rémunération légitime de leur industrie, on ne se serait pas plaint des épices.

Dans certains pays, où les justiciables avaient le droit de choisir leurs juges, les vices du monopole se trouvaient singulièrement atténués. La concurrence qui s'établissait alors entre les différentes cours, améliorait la justice et la rendait moins chère. Adam Smith attribue à cette cause les progrès de l'administration de la justice en Angleterre. Le passage est curieux et j'espère qu'il dissipera vos doutes :

"Les honoraires de cour paraissent avoir été originairement le principal revenu des différentes cours de justice en Angleterre. Chaque cour tâchait d'attirer à elle le plus d'affaires qu'elle pouvait, et ne demandait pas mieux que de prendre connaissance de celles mêmes qui ne tombaient point sous sa juridiction. La cour du banc du roi, instituée pour le jugement des seules causes criminelles, connut des procès civils, le demandeur prétendant que le défendeur, en ne lui faisant pas justice, s'était rendu coupable de quelque faute ou malversation. La cour de l'échiquier, préposée pour la levée des dossiers royaux et pour contraindre à les payer, connut aussi des autres engagements pour dettes, le plaignant alléguant que si on ne le payait pas, il ne pourrait payer le roi. Avec ces fictions, il dépendait souvent des parties de se faire juger par le tribunal qu'elles voulaient, et chaque cour s'efforçait d'attirer le plus de causes qu'elle pouvait au sien, par la diligence et l'impartialité qu'elle mettait dans l'expédition des procès. L'admirable constitution actuelle des cours de justice, en Angleterre, fut peut-être originairement, en grande partie le fruit de cette émulation qui animait ces différents juges, chacun s'efforçant à l'envi d'appliquer à toute sorte d'injustices, le remède le plus prompt et le plus efficace que comportait la loi."

LE SOCIALISTE.

Mais, encore une fois, la gratuité n'est-elle pas préférable ?

L'ÉCONOMISTE.

Vous n'êtes donc pas revenu encore de l'illusion de la gratuité. Ai-je besoin de vous démontrez que la justice gratuite coûte plus cher que l'autre, de tout le montant de l'impôt, prélevé pour entretenir les tribunaux gratuits et salarier les juges gratuits. Ai-je besoin de vous démontrer encore que la gratuité de la justice est nécessairement inique, car tout le monde ne se sert pas également de la justice, tout le monde n'a pas également l'esprit processif ? Au reste, la justice est loin d'être gratuite sous le régime actuel, vous ne l'ignorez pas.

LE CONSERVATEUR.

Les procès sont ruineux. Cependant pouvons-nous nous plaindre de l'administration actuelle de la justice ? L'organisation de nos tribunaux n'est-elle pas irréprochable ?

LE SOCIALISTE.

Oh ! Oh ! irréprochable. Un Anglais que j'accompagnai un jour à la cour d'assises, sortit de la séance tout indigné. Il ne concevait pas qu'un peuple civilisé permît à un procureur du roi ou de la république, de faire de la rhétorique pour demander une condamnation à mort. Cette éloquence, pourvoyeuse du bourreau, lui faisait horreur. En Angleterre, on se contente d'exposer l'accusation ; on ne la passionne pas.

L'ÉCONOMISTE.

Ajoutez à cela les lenteurs proverbiales de nos cours de justice, les souffrances des malheureux qui attendent leur jugement pendant des mois, et quelquefois pendant des années, tandis que l'instruction pourrait se faire en quelques jours ; les frais et les pertes énormes que ces délais entraînent, et vous vous convaincrez que l'administration de la justice n'a guère progressé en France.

LE SOCIALISTE.

N'exagérons rien, toutefois. Nous possédons aujourd'hui, grâce au ciel, l'institution du jury.

L'ÉCONOMISTE.

En effet, on ne se contente pas d'obliger les contribuables à payer les frais de la justice, on les oblige aussi à remplir les fonctions de juges. C'est du communisme pur : Ab uno disce omnes. Pour moi, je ne pense pas que le jury vaille mieux pour juger, que la garde nationale, une autre institution communiste ! pour faire la guerre.

LE SOCIALISTE.

Pourquoi donc ?

L'ÉCONOMISTE.

Parce qu'on ne fait bien que son métier, sa spécialité, et que le métier, la spécialité d'un juré n'est pas d'être juge.

LE CONSERVATEUR.

Aussi se contente-t-il de constater le délit, et d'apprécier les circonstances dans lesquelles le délit a été commis.

L'ÉCONOMISTE.

C'est-à-dire d'exercer la fonction la plus difficile, la plus épineuse du juge. C'est cette fonction si délicate, qui exige un jugement si sain, si exercé, un esprit si calme, si froid, si impartial que l'on confie aux hasards du tirage au sort. C'est absolument comme si l'on tirait au sort les noms des citoyens qui seront chargés, chaque année, de fabriquer des bottes ou d'écrire des tragédies pour la communauté.

LE CONSERVATEUR.

La comparaison est forcée.

L'ÉCONOMISTE.

Il est plus difficile, à mon avis, de rendre un bon jugement que de faire une bonne paire de bottes ou d'aligner convenablement quelques centaines d'alexandrins. Un juge parfaitement éclairé et impartial est plus rare qu'un bottier habile ou un poëte capable d'écrire pour le Théâtre-Français.

Dans les causes criminelles, l'inhabileté du jury se trahit tous les jours. Mais on ne prête, hélas ! qu'une médiocre attention aux erreurs commises en cour d'assises. Que dis-je ? on regarde presque comme un délit de critiquer un jugement rendu. Dans les causes politiques, le jury n'a-t-il pas coutume de prononcer selon la couleur de son opinion, blanc ou rouge, plutôt que selon la justice ? Tel homme qui est condamné par un jury blanc ne serait-il pas absous par un jury rouge, et vice versa ?

LE SOCIALISTE.

Hélas !

L'ÉCONOMISTE.

Déjà les minorités sont bien lasses d'êtres jugées par des jurys appartenant aux majorités. Attendez la fin...

S'agit-il de l'industrie qui pourvoit à la défense intérieure et extérieure ? Croyez-vous qu'elle vaille beaucoup mieux que celle de la justice ? Notre police et surtout notre armée ne nous coûtent-elles pas bien cher pour les services réels qu'elles nous rendent ?

N'y a-t-il enfin aucun inconvénient à ce que cette industrie de la défense publique soit aux mains d'un majorité.

Examinons.

Dans un système où la majorité établit l'assiette de l'impôt et dirige l'emploi des deniers publics, l'impôt ne doit-il pas peser plus ou moins sur certaines portions de la société, selon les influences prédominantes ? Sous la monarchie, lorsque la majorité était purement fictive, lorsque la classe supérieure s'arrogeait le droit de gouverner le pays à l'exclusion du reste de la nation, l'impôt ne pesait-il plus principalement sur les consommations des classes inférieures, sur le sel, sur le vin, sur la viande, etc. ? Sans doute, la bourgeoisie payait sa part de ces impôts, mais le cercle de ses consommations étant infiniment plus large que celui des consommations de la classe inférieure, son revenu s'en trouvait, en définitive, beaucoup plus légèrement atteint. A mesure que la classe inférieure, en s'éclairant, acquerra plus d'influence dans l'État, vous verrez se produire une tendance opposée. Vous verrez l'impôt progressif, qui est tourné aujourd'hui contre la classe inférieure, être retourné contre la classe supérieure. Celle-ci résistera sans doute de toutes ses forces à cette tendance nouvelle ; elle criera, avec raison, à la spoliation, au vol ; mais si l'institution communautaire du suffrage universel est maintenue, si une surprise de la force ne remet pas, de nouveau, le gouvernement de la société aux mains des classes riches à l'exclusion des classes pauvres, la volonté de la majorité prévaudra, et l'impôt progressif sera établi. Une partie de la propriété des riches sera alors légalement confisquée pour alléger le fardeau des pauvres, comme une partie de la propriété des pauvres a été trop longtemps confisquée pour alléger le fardeau des riches.

Mais il y a pis encore.

Non seulement la majorité d'un gouvernement communautaire peut établir, comme bon lui semble, l'assiette de l'impôt, mais encore elle peut faire de cet impôt l'usage qu'elle juge convenable, sans tenir compte de la volonté de la minorité.

Dans certains pays, le gouvernement de la majorité emploie une partie des deniers publics à protéger des propriétés essentiellement illégitimes et immorales. Aux États-Unis, par exemple, le gouvernement garantit aux planteurs du sud la propriété de leurs esclaves. Cependant il y a, aux États-Unis, des abolitionnistes qui considèrent, avec raison, l'esclavage comme un vol. N'importe ! le mécanisme communautaire les oblige à contribuer de leurs deniers au maintien de cette espèce de vol. Si les esclaves tentaient un jour de s'affranchir d'un joug inique et odieux, les abolitionnistes seraient contraints d'aller défendre, les armes à la main, la propriété des planteurs. C'est la loi des majorités !

Ailleurs, il arrive que la majorité, poussée par des intrigues politiques ou par le fanatisme religieux, déclare la guerre à un peuple étranger. La minorité a beau avoir horreur de cette guerre et la maudire, elle est obligée d'y contribuer de son sang et de son argent. C'est encore la loi des majorités !

Ainsi qu'arrive-t-il ? C'est que la majorité et la minorité sont perpétuellement en lutte, et que la guerre descend parfois de l'arène parlementaire dans la rue.

Aujourd'hui c'est la minorité rouge qui s'insurge. Si cette minorité devenait majorité, et si, usant de ses droits de majorité, elle remaniait la constitution à sa guise, si elle décrétait des impôts progressifs, des emprunts forcés et des papiers-monnaie, qui vous assure que la minorité blanche ne s'insurgerait pas demain ?

Il n'y a point de sécurité durable dans ce système. Et savez-vous pourquoi ? Parce qu'il menace incessamment la propriété ; parce qu'il met à la merci d'une majorité aveugle ou éclairée, morale ou immorale, les personnes et les biens de tous.

Si le régime communautaire, au lieu d'être appliqué comme en France à une multitude d'objets, se trouvait étroitement limité comme aux États-Unis, les causes de dissentiment entre la majorité et la minorité étant moins nombreuses, les inconvénients de ce régime seraient moindres. Toutefois ils ne disparaîtraient point entièrement. Le droit reconnu au plus grand nombre de tyranniser la volonté du plus petit pourrait encore, en certaines circonstances, engendrer la guerre civile.

LE CONSERVATEUR.

Mais, encore une fois, on ne conçoit pas comment l'industrie qui pourvoit à la sécurité des personnes et des propriétés pourrait être pratiquée si elle était rendue libre. Votre logique vous conduit à des rêves dignes de Charenton.

L'ÉCONOMISTE.

Voyons ! ne nous fâchons pas. Je suppose qu'après avoir bien reconnu que le communisme partiel de l'État et de la commune est décidément mauvais, on laisse libres toutes les branches de la production, à l'exception de la justice et de la défense publique. Jusque-là point d'objection. Mais un économiste radical, un rêveur vient et dit : Pourquoi donc, après avoir affranchi les différents emplois de la propriété, n'affranchissez-vous pas aussi ceux qui assurent le maintien de la propriété ? Comme les autres, ces industries-là ne seront-elles pas exercées d'une manière plus équitable et plus utile si elles sont rendues libres ? Vous affirmez que c'est impraticable. Pourquoi. D'un côté, n'y a-t-il pas, au sein de la société, des hommes spécialement propres, les uns à juger les différends qui surviennent entre les propriétaires et à apprécier les délits commis contre la propriété, les autres à défendre la propriété des personnes et des choses contre les agressions de la violence et de la ruse ? N'y a-t-il pas des hommes que leurs aptitudes naturelles rendent spécialement propres à être juges, gendarmes et soldats. D'un autre côté, tous les propriétaires indistinctement n'ont-ils pas besoin de sécurité et de justice ? Tous ne sont-ils pas disposés, en conséquence, à s'imposer des sacrifices pour satisfaire à ce besoin urgent, surtout s'ils sont impuissants à s'y satisfaire eux-mêmes ou s'ils ne le peuvent à moins de dépenser beaucoup de temps et d'argent ?

Or s'il y a d'un côté des hommes propres à pourvoir à un besoin de la société, d'un autre côté, des hommes disposés à s'imposer des sacrifices pour obtenir la satisfaction de ce besoin, ne suffit-il pas de laisser faire les uns et les autres pour que la denrée demandée, matérielle ou immatérielle, se produise, et que le besoin soit satisfait ?

Ce phénomène économique ne se produit-il pas irrésistiblement, fatalement, comme le phénomène physique de la chute des corps ?

Ne suis-je donc pas fondé à dire que si une société renonçait à pourvoir à la sécurité publique, cette industrie particulière n'en serait pas moins exercée ? Ne suis-je pas fondé à ajouter qu'elle le serait mieux sous le régime de la liberté qu'elle ne pouvait l'être sous le régime de la communauté.

LE CONSERVATEUR.

De quelle manière ?

L'ÉCONOMISTE.

Cela ne regarde pas les économistes. L'économie politique peut dire : si tel besoin existe, il sera satisfait, et il le sera mieux sous un régime d'entière liberté que sous tout autre. A cette règle, aucune exception ! mais comment s'organisera cette industrie, quels seront ses procédés techniques, voilà ce que l'économie politique ne saurait dire.

Ainsi, je puis affirmer que si le besoin de se nourrir se manifeste au sein de la société, ce besoin sera satisfait, et qu'il le sera d'autant mieux que chacun demeurera plus libre de produire des aliments ou d'en acheter à qui bon lui semblera.

Je puis assurer encore que les choses se passeront absolument de la même manière si, au lieu de l'alimentation, il s'agit de la sécurité.

Je prétends donc que si une communauté déclarait renoncer, au bout d'un certain délai, un an par exemple, à salarier des juges, des soldats et des gendarmes, au bout de l'année cette communauté n'en posséderait pas moins des tribunaux et des gouvernements prêts à fonctionner ; et j'ajoute que si, sous ce nouveau régime, chacun conservait le droit d'exercer librement ces deux industries et d'en acheter librement les services, la sécurité serait produite le plus économiquement et le mieux possible.

LE CONSERVATEUR.

Je vous répondrai toujours que cela ne se peut concevoir.

L'ÉCONOMISTE.

A l'époque où le régime réglementaire retenait l'industrie prisonnière dans l'enceinte des communes, et où chaque corporation était exclusivement maîtresse du marché communal, on disait que la société était menacée chaque fois qu'un novateur audacieux s'efforçait de porter atteinte à ce monopole. Si quelqu'un était venu dire alors qu'à la place des malingres et chétives industries des corporations, la liberté mettrait un jour d'immenses manufactures fournissent des produits moins chers et plus parfaits, on eût traité ce rêveur de la belle manière. Les conservateurs du temps auraient juré leurs grands dieux que cela ne se pouvait concevoir.

LE SOCIALISTE.

Mais voyons ! Comment peut-on imaginer que chaque individu ait le droit de se faire gouvernement ou de choisir son gouvernement, ou même de n'en pas choisir... Comment les choses se passeraient-elles en France, si, après avoir rendu libres toutes les autres industries, les citoyens français annonçaient de commun accord, qu'ils cesseront, au bout d'une année, de soutenir le gouvernement de la communauté ?

L'ÉCONOMISTE.

Je ne puis faire que des conjectures à cet égard. Voici cependant à peu près de quelle manière les choses se passeraient. Comme le besoin de sécurité est encore très grand dans notre société, il y aurait profit à fonder des entreprises de gouvernement. On serait assuré de couvrir ses frais. Comment se fonderaient ces entreprises ? des individualités isolées n'y suffiraient pas plus qu'elles ne suffisent pour construire des chemins de fer, des docks, etc. De vastes compagnies se constitueraient donc pour produire de la sécurité ; elles se procureraient le matériel et les travailleurs dont elles auraient besoin. Aussitôt qu'elles se trouveraient prêtes à fonctionner, ces compagnies d'assurances sur la propriété appelleraient la clientèle. Chacun s'abonnerait à la compagnie qui lui inspirerait le plus de confiance et dont les conditions lui sembleraient le plus favorables.

LE CONSERVATEUR.

Nous ferions queue pour aller nous abonner. Assurément, nous ferions queue !

L'ÉCONOMISTE.

Cette industrie étant libre on verrait se constituer autant de compagnies qu'il s'en former utilement. S'il y en avait trop peu, si, par conséquent, le prix de la sécurité était surélevé, on trouverait profit à en former de nouvelles ; s'il y en avait trop, les compagnies surabondantes ne tarderaient pas à se dissoudre. Le prix de la sécurité serait, de la sorte, toujours ramené au niveau des frais de production.

LE CONSERVATEUR.

Comment ces compagnies libres s'entendraient-elles pour pourvoir à la sécurité générale ?

L'ÉCONOMISTE.

Elles s'entendaient comme s'entendent aujourd'hui les gouvernements monopoleurs et communistes, parce qu'elles auraient intérêt à s'entendre. Plus, en effet, elles se donneraient de facilités mutuelles pour saisir les voleurs et les assassins, et plus elles diminueraient leurs frais.

Par la nature même de leur industrie, les compagnies d'assurances sur la propriété ne pourraient dépasser certaines circonscriptions : elles perdraient à entretenir une police dans les endroits où elles n'auraient qu'une faible clientèle. Dans leurs circonscriptions elles ne pourraient néanmoins opprimer ni exploiter leurs clients, sous peine de voir surgir instantanément des concurrences.

LE SOCIALISTE.

Et si la compagnie existante voulait empêcher les concurrences de s'établir ?

L'ÉCONOMISTE.

En un mot, si elle portait atteinte à la propriété de ses concurrents et à la souveraineté de tous... Oh ! alors, tous ceux dont les monopoleurs menaceraient la propriété et l'indépendance se lèveraient pour les châtier.

LE SOCIALISTE.

Et si toutes les compagnies s'entendaient pour se constituer en monopoles. Si elles formaient une sainte-alliance pour s'imposer aux nations, et si fortifiées par cette coalition, elles exploitaient sans merci les malheureux consommateurs de sécurité, si elles attiraient à elles par ce lourds impôts la meilleure part des fruits du travail des peuples ?

L'ÉCONOMISTE.

Si, pour tout dire, elles recommençaient à faire ce que les vieilles aristocraties ont fait jusqu'à nos jours... Eh ! bien, alors, les peuples suivraient le conseil de l'étranger :

Peuples, formez une Sainte-Alliance
Et donnez-vous la main.

Ils s'uniraient, à leur tour, et comme ils possèdent des moyens de communication que n'avaient pas leurs ancêtres, comme ils sont cent fois plus nombreux que leurs vieux dominateurs, la sainte-alliance des aristocraties serait bientôt anéantie. Nul ne serait plus tenté alors, je vous le jure, de constituer un monopole.

LE CONSERVATEUR.

Comment ferait-on sous ce régime pour repousser une invasion étrangère ?

L'ÉCONOMISTE.

Quel serait l'intérêt des compagnies ? Ce serait de repousser les envahisseurs, car elles seraient les premières victimes de l'invasion. Elles s'entendraient donc pour les repousser et elles demanderaient à leurs assurés un supplément de prime pour les préserver de ce danger nouveau. Si les assurés préféraient courir les risques de l'invasion, ils refuseraient ce supplément de prime ; sinon, ils le payeraient, et ils mettraient ainsi les compagnies en mesure de parer au danger de l'invasion.

Mais de même que la guerre est inévitable sous un régime de monopole, la paix est inévitable sous un régime de libre gouvernement.

Sous ce régime, les gouvernements ne peuvent rien gagner par la guerre ; ils peuvent, au contraire, tout perdre. Quel intérêt auraient-ils à entreprendre une guerre ? serait-ce pour augmenter leur clientèle ? Mais, les consommateurs de sécurité étant libres de se faire gouverner à leur guise, échapperaient aux conquérants. Si ceux-ci voulaient leur imposer leur domination, après avoir détruit le gouvernement existant, les opprimés réclameraient aussitôt le secours de tous les peuples....

Les guerres de compagnie à compagnie ne se feraient d'ailleurs qu'autant que les actionnaires voudraient en avancer les frais. Or, la guerre ne pouvant plus rapporter à personne une augmentation de clientèle, puisque les consommateurs ne se laisseraient plus conquérir, les frais de guerre ne seraient évidemment plus couverts. Qui donc voudrait encore les avancer ?

Je conclus de là que la guerre serait matériellement impossible sous ce régime, car aucune guerre ne se peut faire sans une avance de fonds.

LE CONSERVATEUR.

Quelles conditions une compagnie d'assurances sur la propriété ferait-elle à ses clients ?

L'ÉCONOMISTE.

Ces conditions seraient de plusieurs sortes.

Pour être mises en état de garantie aux assurés, pleine sécurité pour les personnes et leurs propriétés, il faudrait :

Que les compagnies d'assurances établissent certaines peines contre les offenseurs des personnes et des propriétés, et que les assurés consentissent à se soumettre à ces peines ; dans le cas où ils commettraient eux-mêmes des sévices contre les personnes et les propriétés.

Qu'elles imposassent aux assurés certaines gênes ayant pour objet de faciliter la découverte des auteurs de délits.

Qu'elles perçussent régulièrement pour couvrir leurs frais une certaine prime, variable selon la situation des assurés, leurs occupations particulières, l'étendue, la nature et la valeur des propriétés à protéger.

Si les conditions stipulées convenaient aux consommateurs de sécurité, le marché se conclurait, sinon les consommateurs s'adresseraient à d'autres compagnies ou pourvoiraient eux-mêmes à leur sécurité.

Poursuivez cette hypothèse dans tous ses détails, et vous vous convaincrez, je pense, de la possibilité de transformer les gouvernements monopoleurs ou communistes en gouvernements libres.

LE CONSERVATEUR.

J'y vois bien des difficultés encore. Et la dette, qui la payerait ?

L'ÉCONOMISTE.

Pensez-vous qu'en vendant toutes les propriétés aujourd'hui communes, routes, canaux, rivières, forêts, bâtiments servant à toutes les administrations communes, matériel de tous les services communs, on ne réussirait pas aisément à rembourser le capital de la dette ? Ce capital ne dépasse pas six milliards. La valeur des propriétés communes en France s'élève, à coup sûr, bien au delà.

LE SOCIALISTE.

Ce système ne serait-il pas la destruction de toute nationalité ? Si plusieurs compagnies d'assurances sur la propriété s'établissaient dans un pays, l'Unité nationale ne serait-elle pas détruite ?

L'ÉCONOMISTE.

D'abord, il faudrait que l'unité nationale existât pour qu'on pût la détruire. Or, je ne puis voir une unité nationale dans ces informes agglomérations de peuples que la violence a formées, que la violence seule maintient le plus souvent.

Ensuite, on a tort de confondre ces deux choses, qui sont naturellement fort distinctes : la nation et le gouvernement. Un nation est une lorsque les individus qui la composent ont les mêmes mœurs, la même langue, la même civilisation ; lorsqu'ils forment une variété distincte, originale de l'espèce humaine. Que cette nation ait deux gouvernements ou qu'elle n'en ait qu'un, cela importe fort peu. A moins toutefois que chaque gouvernement n'entoure d'une barrière factice les régions soumises à sa domination, et n'entretienne d'incessantes hostilités avec ses voisins. dans cette dernière éventualité, l'instinct de la nationalité réagira contre ce morcellement barbare et cet antagonisme factice imposé à un même peuple, et les fractions désunies de ce peuple tendront incessamment à se rapprocher.

Or, les gouvernements ont jusqu'à nos jours divisé les peuples afin de les retenir plus aisément dans l'obéissance ; diviser pour régner, telle a été, de tous temps, la maxime fondamentale de leur politique. Les hommes de même race, à qui la communauté facile, ont énergiquement réagi contre la pratique de cette maxime ; de tous temps ils se sont efforcés de détruire les barrières factices qui les séparaient. Lorsqu'ils y sont enfin parvenus, ils ont voulu n'avoir qu'un seul gouvernement afin de n'être plus désunis de nouveau. Mais, remarquez bien qu'ils n'ont jamais demandé à ce gouvernement de les séparer des autres peuples... L'instinct des nationalités n'est donc pas égoïste, comme on l'a si souvent affirmé ; il est, au contraire, essentiellement sympathique. Que la diversité des gouvernements cesse d'entraîner la séparation, le morcellement des peuples, et vous verrez la même nationalité en accepter volontiers plusieurs. Un seul gouvernement n'est pas plus nécessaire pour constituer l'unité d'un peuple, qu'une seule banque, un seul établissement d'éducation, un seul culte, un seul magasin d'épiceries, etc.

LE SOCIALISTE.

Voilà, en vérité, une solution bien singulière du problème du gouvernement !

L'ÉCONOMISTE.

C'est la seule solution conforme à la nature des choses.


A suivre...

Technorati