L'état

Les libéraux classiques de l'école française du XIXème siècle pensaient que les seules fonctions de l'état étaient: 1) de garantir les droits de propriété, c'est-à-dire la liberté pour chacun de faire ce qui lui plaît tant qu'il n'empiète pas sur son voisin, et 2) de faire respecter l'axiome de non-agression.

Pour un temps l'état s'est peu ou prou cantonné à ce rôle, surtout aux Etats-Unis jusqu'à la guerre de sécession (1861) et en Angleterre jusqu'à la première guerre mondiale (1914). Même en France, sous la Restauration le gouvernement Dessolle de 1819 était constitué exclusivement de ministres libéraux. L'on pensait alors qu'une certaine tradition conservatrice, la séparation des pouvoirs et la peur de la tyrannie suffiraient à confiner l'état dans son rôle de "veilleur de nuit".

Un seul coup d'œil à la situation actuelle prouve combien cet espoir fut vain. L'état est partout. Les états ont tué plus de 140 millions de leurs propres citoyens au XXème siècle, hors guerres mondiales. L'état détourne plus de 50% de la richesse produite annuellement par ses sujets, contre moins de 10% au XIXème siècle. Ronald Reagan a bien résumé la philosophie de l'état moderne:

Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue de bouger, régulez-le. Si ça arrête de bouger, subventionnez-le.

Le pire c'est que les gens trouvent ça normal. Pas étonnant quand on sait que les enfants apprennent le concept de liberté dans des écoles qui appartiennent à l'état ou dont le programme est écrit par l'état: le lavage de cerveau est total.

Les producteurs d'idées, enseignants et professeurs d'université, mais aussi journalistes, vedettes de la télé et de la radio, artistes, soi-disant experts et commentateurs, écrivains, sont globalement en cheville avec l'état pour contrôler la pensée de la masse. Ils font semblant de s'affronter ostensiblement, de se déchirer sur des points de détail, pour mieux masquer une connivence de fond sur la nécessité, la noblesse et la genérosité du rôle de l'état. C'est exactement comme le clergé de l'Ancien Régime qui répétait à la populace que le monarque régnait de droit divin. C'est pour cela qu'ils exècrent le libéralisme, qu'ils le vilipendent, le déforment et le détournent: la seule chose qui leur fait vraiment peur, ce serait que les gens apprennent à penser par eux-mêmes et à réclamer leur liberté confisquée.

La condition de l'homme moderne est celle des prisonniers dans l'allégorie de la caverne de Platon. Le libéral est celui qui a réussi le premier à se détacher de ses chaînes.

Comment en est-on arrivé là ? Les libéraux classiques ont fait une erreur fatale, celle de croire que le meilleur arrangement pour faire respecter la liberté, la propriété et l'axiome de non-agression est de confier cette mission à l'état. En fait c'est le pire des arrangements.

En effet l'état est une agence définie par deux caractéristiques. Premièrement, l'état détient le monopole de la décision ultime (juridiction) sur un territoire donné, monopole qu'il fait respecter par la force. C'est-à-dire qu'il est l'arbitre ultime dans chaque conflit, y compris les conflits où il est partie prenante. Deuxièmement, l'état détient le monopole territorial de la taxation. C'est-à-dire qu'il fixe de manière unilatérale le prix que les citoyens doivent payer pour la production de la loi et de l'ordre.

De manière prévisible, si on ne peut faire appel qu'à l'état pour obtenir justice, la justice sera systématiquement biaisée en faveur de l'état. Au lieu de résoudre les conflits, l'agence qui détient le monopole de la décision ultime provoquera des conflits afin de les régler en sa faveur. Pire, alors que la qualité de la justice baissera du fait de cette situation de monopole, son prix augmentera. Motivés comme tout le monde par leur intérêt propre mais doués du pouvoir de taxer, le but des agents de l'état est toujours le même: maximiser leurs revenus et minimiser l'effort productif.

(Par parenthèse, la notion que les agents de l'état sont motivés par leur intérêt propre comme tous les autres agents économiques est devenue tellement indiscutable que le prix Nobel d'économie 1986 a récompensé James Buchanan, le fondateur de la théorie des "choix publics" qui est toute entière basée sur cette notion. En France il suffit de voir les syndicats des services publics manifester pour extorquer toujours plus d'argent et d'avantages aux contribuables, souvent en prenant en otage ces mêmes contribuables qui sont aussi utilisateurs des transports en commun, pour s'en rendre compte.)

Interdire aux gens de se fournir chez un concurrent permet de fixer un prix supérieur à la valeur du service rendu, donc c'est du vol. Il ne fallait pas demander à ce voleur qu'est l'état de garantir vos droits de propriété...

De même, détenir le monopole territorial de l'usage de la force permet de rentrer par effraction chez les gens sous toutes sortes de prétextes (lutte contre la prostitution, la possession de drogue, d'armes à feu), donc c'est une agression. Il ne fallait pas demander à cet agresseur qu'est l'état de faire respecter l'axiome de non-agression...

Il était inévitable que l'état ne se cantonne pas dans son rôle de "veilleur de nuit" bien longtemps. Il a utilisé les pouvoirs qu'on lui avait confiés pour voler et asservir ceux-là même qui lui avaient confié ces pouvoirs.

Cette démonstration a été avancée pour la première fois par le plus lucide et le plus cohérent des libéraux classiques, Gustave de Molinari, dans les Soirées de la rue Saint-Lazare (1849), plus précisément dans sa "Onzième Soirée". Malheureusement son œuvre visionnaire n'a pas eu l'impact politique qu'elle méritait. Il a fallu attendre les années 1970 pour qu'elle soit reprise et développée par certains économistes de l'école autrichienne, là encore les plus lucides et les plus cohérents. Un exemple récent est le dernier article de Hans-Hermann Hoppe fustigeant l'intervention américaine en Irak, bel exemple d'une démocratie causant la mort de 655 000 personnes qui ne l'avaient pas préalablement agressée ni directement menacée.

En somme, les bâtiments publics sont les casernes d'une armée d'occupation qui passait par là et qui, au lieu de continuer son chemin pour aller piller les producteurs d'à-côté comme le faisaient jadis les tribus de guerriers nomades, a trouvé plus confortable de s'installer sur place pour piller le même groupe de producteurs jusqu'à la fin des temps. On appelle ça la théorie du "bandit stationnaire".

C'est assez évident dans le cas de la conquête brutale d'un état par une bande d'envahisseurs. Un seul coup d'œil à la Tour de Londres bâtie par Guillaume le Conquérant pour exploiter sa victoire d'Hastings (1066) suffit pour s'en convaincre. Dans le cas d'un état démocratique moderne, c'est exactement pareil.

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