Pas d'autorité sans consentement

Tous les 6 ans les habitants de la commune de Brégnier-Cordon, située 80 kilomètres à l'est de Lyon, votent aux élections municipales afin de désigner leur maire et ses conseillers municipaux. Tous les 6 ans le maire remet son mandat en jeu comme l'exigent les principes démocratiques les plus élémentaires.

Que dirait-on s'il existait une organisation qui ait autorité sur le territoire de la commune de Brégnier-Cordon, puisse y user de la contrainte – jusqu'à la force physique – pour imposer ses décisions souveraines, mais ne remette jamais son mandat en jeu pour établir sa légitimité? Une organisation qui ait des pouvoirs plus étendus que ceux du maire et qui puisse lui commander dans les domaines les plus importants?

On dirait que le consentement de la commune de Brégnier-Cordon à la souveraineté de cette organisation-là n'est pas avéré; que son autorité représente un viol de l'idéal démocratique; que c'est une mafia sans foi ni loi qui a usurpé le pouvoir par la ruse et la force, et qu'elle doit être immédiatement mise au pas par la mobilisation populaire.

Comme cette organisation détient plus de pouvoir que le maire, mettre en place un scrutin tous les 6 ans permettant aux citoyens de Brégnier-Cordon d'accepter son autorité ou de lui en substituer une autre est encore plus important que de maintenir le rituel des élections municipales. En effet, pourquoi s'embêter à organiser des élections municipales si on laisse cette organisation plus puissante que le conseil municipal échapper à la sanction démocratique? Il faut avoir le sens des priorités dans la vie.

Surtout s'il existe une ou plusieurs alternatives crédibles à cette organisation, ce qui est le cas.

Cette organisation illégitime est: le conseil général du département de l'Ain. En effet la sujétion de la commune de Brégnier-Cordon aux diktats du département de l'Ain, représenté par son conseil général, a été décidée il y a plus de 200 ans par un groupe de bourgeois et de nobles exerçant leur autorité dans le cadre d'un vieux régime monarchique. Le peuple de Brégnier-Cordon n'a ni signifié son approbation à ce moment fatal, ni eu aucune autre occasion de le faire depuis. C'est un scandale pur et simple.

Il existe plusieurs alternatives crédibles à ce triste état de fait. La commune de Brégnier-Cordon pourrait tout aussi bien être assujettie aux décisions du conseil général de la Savoie ou à celui de l'Isère, départements limitrophes de son territoire. En désespoir de cause, le peuple de Brégnier-Cordon pourrait très bien décider de se constituer en département indépendant et s'organiser pour assumer les pouvoirs normalement délégués à l'échelon territorial supérieur. Quoique cette possibilité semble coûteuse et peu pratique, il faut la laisser ouverte afin de diminuer le risque que les trois départements (Ain, Savoie et Isère) ne puissent former un cartel pour coincer Brégnier-Cordon.

La commune de Brégnier-Cordon a-t-elle eu un conflit avec le conseil général de l'Ain? A-t-elle aucune raison de se plaindre des décisions qui lui ont été imposées d'en-haut? Je n'en sais rien, je n'y suis jamais allé, mais ça n'a aucune espèce d'importance. Même si les électeurs de Brégnier-Cordon n'avaient aucune raison de se plaindre de leur maire, cela ne le dispenserait pas de remettre son mandat en jeu tous les 6 ans afin de légitimer leur consentement à son autorité. C'est ça la démocratie, bon sang! La charge de la preuve que ce consentement existe repose sur les épaules du maire, et il ne peut le prouver qu'en organisant des élections justes et libres au bout de 6 ans. Si la charge de la preuve reposait sur la population de Brégnier-Cordon, alors cette dernière serait forcée d'organiser des émeutes et une révolution potentiellement violente.

On pourrait rétorquer que, comme la commune de Brégnier-Cordon participe à l'élection du conseil général de l'Ain, ces derniers "la représentent", ce qui légitime leur autorité sur elle. Cet argument passe complètement à côté du problème. En effet, la seule question qui compte est la suivante: les 418 autres communes de l'Ain ont-elles collectivement plus de pouvoir sur la population de Brégnier-Cordon que son maire lui-même? La réponse est évidemment: oui. Collectivement le reste du département détient au moins 90% du pouvoir de choisir les conseillers généraux de l'Ain. Supposons par exemple qu'un conseil général soit deux fois plus puissant qu'un conseil municipal. Alors les autres communes du département ont 80% plus de pouvoir sur la population de Brégnier-Cordon que son maire lui-même (mathématiquement: 0.90 × 2 = 1.80) . Sans s'arrêter aux chiffres exacts, il est évident que les 418 autres communes de l'Ain doivent soumettre au verdict des urnes le mandat qu'elles exercent collectivement sur Brégnier-Cordon au moins aussi fréquemment que le maire le fait lui-même.

Cette nécéssité est ancrée dans la théorie même du contrat social, principe fondateur de la démocratie. En effet l'existence du département de l'Ain est légitimée par le contrat social passé entre 419 communes. Ce contrat ne saurait avoir une durée indéfinie, engageant toutes les générations successives jusqu'à la fin des temps. Il faut que les citoyens le re-signent à nouveau tous les 6 ans afin de justifier l'autorité du département par le consentement des communes qui le composent.

Si un département refuse de vérifier démocratiquement que les communes qui le constituent consentent à son autorité, il est grand temps de le reconnaître pour ce qu'il est: un goulag.

Il existe une probabilité énorme que ce scrutin voie la victoire du status quo et que les habitants de Brégnier-Cordon reconduisent le leadership du conseil général de l'Ain. J'ai pris Brégnier-Cordon comme exemple au hasard, mais ce raisonnement s'applique à n'importe quelle autre commune. Le fait qu'une commune soit limitrophe avec un ou deux départements ne change rien à l'histoire. En effet, la notion qu'un département doit gérer un territoire contigu n'est qu'une préférence pratique, pas une nécessité intrinsèque. Si la France peut exercer sa souveraineté sur la Guyane alors la Savoie peut bien gérer une enclave au milieu de l'Ain.

La même exigence démocratique qui demande que chacune des 36 000 communes de France vote tous les 6 ans pour choisir son maire et ses conseillers municipaux implique aussi qu'elle vote pour choisir le département duquel elle dépend. Sur 36 000, gageons que tous les 6 ans il y en aura quelques unes qui choisiront démocratiquement de changer de département, voire de se constituer en département indépendant. Et il faut toujours respecter la volonté du peuple souverain.

Bien sûr, on ne saurait s'arrêter là. De la même manière, tous les 6 ans les habitants du département de l'Ain votent aux élections cantonales afin de désigner leurs conseillers généraux. Tous les 6 ans les conseillers généraux remettent leur mandat en jeu comme l'exigent les principes démocratiques les plus élémentaires. Que dirait-on s'il existait une organisation qui ait autorité sur le territoire du département de l'Ain, puisse y user de la contrainte – jusqu'à la force physique – pour imposer ses décisions souveraines, mais ne remette jamais son mandat en jeu pour établir sa légitimité? Une organisation qui ait des pouvoirs plus étendus que ceux du conseil général et qui puisse lui commander dans les domaines les plus importants?

Cette organisation illégitime est: le conseil régional Rhône-Alpes. En effet les 7 autres départements qui constituent cette région ont collectivement plus de pouvoir que le conseil général de l'Ain. Le peuple de l'Ain n'a jamais été autorisé à exprimer démocratiquement son consentement à ce pouvoir. Peut-être préférait-il appartenir à la Bourgogne ou la Franche-Comté, se constituer en région indépendante, ou même conserver le statut de département mais fusionné avec la Haute-Savoie, la Savoie, l'Isère ou le Rhône? Il faut consulter sur ce point les habitants de l'Ain tous les 6 ans par un référendum organisé à l'échelle du département. Bien évidemment, il n'y a rien de particulier à l'Ain et tous les départements doivent faire pareil.

Si une région refuse de vérifier démocratiquement que les départements qui le constituent consentent à son autorité, il est grand temps de le reconnaître pour ce qu'il est: un goulag.

Ce raisonnement est valable à tous les niveaux. Tous les 6 ans les habitants de la région Rhône-Alpes votent aux élections régionales afin de désigner leurs conseillers régionaux, comme l'exige la démocratie. Or il existe une organisation qui a autorité sur le territoire de la région Rhône-Alpes, peut y user de la contrainte – jusqu'à la force physique – pour imposer ses décisions souveraines, mais ne remet jamais son mandat en jeu pour établir sa légitimité.

Cette organisation illégitime est: l'état Français. Collectivement les 21 autres régions détiennent plus de pouvoir sur la région Rhône-Alpes que son propre conseil régional. Jamais le peuple de la région Rhône-Alpes n'a été autorisé à exprimer démocratiquement s'il préférait appartenir à la France plutôt qu'à la Suisse ou à l'Italie. Il faut donc que les habitants de la région Rhône-Alpes soient consultés sur ce point tous les 6 ans par référendum. D'autres options qui devraient être offertes sont de se constituer en état indépendant, ou de conserver le statut de région mais fusionnée avec une autre région telle que la Franche-Comté, la Bourgogne, l'Auvergne, le Languedoc ou Provence-Alpes-Côte d'Azur. Bien évidemment, chaque région se doit d'organiser le même référendum tous les 6 ans, sinon c'est un simulacre de démocratie.

Si un état refuse de vérifier démocratiquement que les régions qui le constituent consentent à son autorité, il est grand temps de le reconnaître pour ce qu'il est: un goulag.

Finalement, les Français votent aux élections présidentielles tous les 5 ans afin de désigner leur chef d'état, comme l'exigent la démocratie. Or il existe une organisation dont l'autorité est supérieure à celle du président de la république. La logique démocratique la plus élémentaire commande donc que cette autorité se représente face aux Français tous les 5 ans pour confirmer qu'elle possède toujours leur confiance ou, le cas échéant, leur donner une chance de sortir pacifiquement. Cette autorité est: l'Union Européenne. Collectivement les 26 autres pays de l'union détiennent plus de pouvoir sur les Français que le président de la république lui-même. Un référendum sur la sécession de la France doit donc être tenu à la même fréquence que les élections présidentielles.

Si une union supra-nationale refuse de vérifier démocratiquement et à intervalles réguliers que les états qui le constituent consentent à son autorité, il est grand temps de le reconnaître pour ce qu'il est: un goulag.

On parle beaucoup de VIème République, de rendre le pouvoir au peuple, on dit que les citoyens se défient de leurs élites politico-médiatiques. Voici une proposition simple, faisable, libératrice qui raffermirait le lien social et rendrait plus difficiles les abus de pouvoir. Si elle rencontrait le même soutien populaire que le suffrage universel en son temps, alors je reprendrais espoir.

De toute façon, aucune frontière n'est éternelle. La seule question est de savoir si elle sera redessinée par une guerre, par une révolution sanglante, par un trait de plume administratif ou... par les urnes.

2 commentaires:

Libéralisateur a dit…

Mais oui dans tout cela que veut dire le mot démocratie. Rien, qu'un mot pour donner une "légitimité" à tous les diktats de l'Etat.

Et les deux principales raison de mon NON au référendum étaient bien cette logorrhée de textes législatifs (qui disaient, pour complaire à tous, tout et son contraire) et surtout la légitimité irrévocable qu'auraient eu les technocrates européens de nous gouverner et ce, sans plus aucun contrôle réel par le peuple, sauf à ... quitter l'Europe ! qui en prendrait le risque ?

Mais c'était la fin claire de la démocratie. Si nous n'aurions plus eu d'instances représentatives à élire (avec un vrai pouvoir), on aurait quand même eu à nourrir toutes ces bouches de politiciens français, qui auraient été alors et ce, carrément des fantôches. Même dans les textes.

Gallatin a dit…

Libéralisateur:

Ceux qui nous gouvernent justifient leur autorité en disant que "le pouvoir émane du peuple". Si c'est vrai, alors l'Union Européenne est subordonnée en toutes choses à l'Etat français. Car l'Etat français est plus proche du peuple qu'il représente que l'Union Européenne. En cas de conflit, c'est toujours celui qui est plus proche de la source du pouvoir qui doit gagner.

De même, l'Etat français est subordonné en toutes choses à la région. La région est de facto indépendante, sauf pour les projets où il lui sied de coopérer avec l'Etat français. Son bon vouloir ne saurait être forcé sans démentir la théorie selon laquelle "le pouvoir émane du peuple".

La région doit être subordonnée en toutes choses au département. Le département à la commune.

J'ajouterais bien: la commune à l'individu... mais je ne veux pas choquer!

Technorati