Justification de l'éthique de la propriété privée

Les gens classent souvent les principes éthiques et les jugements moraux dans le domaine des conventions. Ils seraient tellement arbitraires que nul ne pourrait convaincre un contradicteur soutenant une position différente. La multiplicité des moralités irréconciliables serait donc une donnée fondamentale de la condition humaine. Mais l'éthique de la propriété privée tombe-t-elle dans cette catégorie? Si je crois que la propriété privée est morale, et que d'autres la croient immorale, leur position est-elle aussi valide que la mienne? Heureusement non.

Il n'existe aucune éthique alternative à la propriété privée. Elle se déduit logiquement d'un axiome lui-même inattaquable. Toutes les autres tentatives de construire une éthique contredisant les principes de la propriété privée sont d'emblée vouées à l'échec. En ce domaine, aucun relativisme n'est possible.

Pourquoi?

L'axiome inattaquable duquel tout découle est le suivant: "Nous ne pouvons pas nier que nous pouvons argumenter, car le simple fait de le nier implique précisément qu'on est en train de produire des arguments". Ceci s'appelle l'a-priori de l'argumentation. En essayant de contredire cet axiome de base, on le prouve! Puisqu'il est impossible à contredire, l'éthique se fonde là-dessus.

Règles du jeu

Une éthique est un ensemble de règles morales qui obéit à certaines contraintes. Ce n'est pas n'importe quoi, il y a des règles du jeu, sinon on sort du domaine de l'éthique et on fait autre chose. Les deux contraintes essentielles sont les suivantes:

a) Avoir une éthique présuppose qu'on a affaire à des êtres rationnels capables d'argumentation logique et de discussion.

b) Une éthique doit être universelle: en théorie elle doit pouvoir être acceptée par tous ceux qui participent à la discussion.

A partir de cet axiome de base, et dans le respect de ces deux règles du jeu, dans quelle direction allons-nous aller? Autrement dit, quel est le but de l'éthique, et comment ce but peut-il être atteint?

  • La tâche de l'éthique, c'est éviter les conflits et permettre la coopération pacifique.
  • La cause potentielle de conflit est que certaines ressources sont rares.
  • Pour éviter les conflits, il faut donc produire des règles d'exclusion, c'est-à-dire attribuer le droit de contrôler une ressource rare donnée à une personne plutôt qu'une autre.
  • Il faut des règles qui permettent d'agir dès l'origine de l'humanité: il faut pouvoir commencer immédiatement.

Le philosophe Hans Hoppe a prouvé (cf. "The Economics and Ethics of Private Property", chapitre 13) que, dans ces conditions, la seule éthique possible est la suivante:

  1. Nous devons être propriétaires de notre propre corps.

(En effet si nous ne sommes pas propriétaires de notre corps, y compris de notre bouche et de nos mains, alors nous ne pouvons pas nous engager dans une discussion argumentée.)

  1. Nous devons avoir le droit de prendre possession des ressources qui étaient préalablement sans propriétaire.

(En effet, si cela n'était pas le cas, alors nous mourrions tous immédiatement, et il n'y aurait plus de questions éthiques, puisqu'il n'y existerait plus personne pour en débattre. Par exemple, aux débuts de l'humanité, si une homme trouve un fruit dans la jungle et que ce fruit n'appartient à personne, alors il doit pouvoir se l'approprier et le manger, sinon il meurt de faim.)

Ces deux principes constituent l'éthique de la propriété privée, qui est donc la seule éthique possible. Toute soi-disant éthique qui les contredirait, soit violerait l'axiome inattaquable de l'a-priori de l'argumentation, soit ne respecterait pas les deux règles du jeu qui définissent ce que c'est qu'une éthique, soit permettrait les conflits pour le contrôle des ressources rares, soit empêcherait les gens d'agir tout de suite.

L'éthique de la propriété privée n'est donc pas une convention. Une convention, c'est un système de règles pour lequel il existe une alternative, comme par exemple l'usage de l'alphabet latin pour écrire des messages envoyés à quelqu'un – en effet, il existe au moins une alternative: l'alphabet cyrillique. L'éthique de la propriéte privée ne relève pas de cette catégorie. Comme aucune alternative n'existe, elle n'est pas une convention arbitraire.

2 commentaires:

Arthur B. a dit…

http://www.daviddfriedman.com/Libertarian/On_Hoppe.html

Gallatin a dit…

Oh, David Friedman n'est pas le seul libertarien de renom à avoir critiqué l'éthique de l'argumentation avancée par Hoppe. Il y a eu aussi au moins David Osterfeld, Loren Lomasky et David Conway.

De l'autre côté, l'éthique de l'argumentation de Hoppe a été défendue par d'autres libertariens de renom tels que Stephan Kinsella, David Gordon, et tout particulièrement par le plus grand d'entre eux, Murray Rothbard.

Le fait que ce débat ait été si vif à la fin des années 1980 prouve que Hoppe a développé une idée très importante touchant un nerf sensible et qui n'est ni facile à comprendre, ni facile à réfuter.

David Friedman se devait de critiquer Hoppe, parce que celui-ci a lui-même complètement démoli les justifications "utilitaires" ou "conséquentialistes" de l'anarcho-capitalisme dont David Friedman s'est fait l'apôtre.

Notons juste que c'est un débat sur un point précis de philosophie, que Hoppe est un philosophe et Friedman pas. Sur le fond, je trouve que l'alternative proposée par Friedman, celle d'une société où tout le monde est libre la moitié du temps et esclave l'autre moitié, est peu convaincante.

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