Choisir ses cosignataires

Mon diagnostic des maux qui affligent la France, et les autres grandes démocraties développées, est qu'il existe un déficit de consentement au contrat social. Il faut donc réaffirmer ce consentement.

A l'échelle de la planète il y existe 193 pays, donc cela fait 193 contrats sociaux. Sur le territoire français, à l'heure actuelle, il n'en existe qu'un seul. Tous ceux qui habitent sur le territoire français sont censés être cosignataires d'un seul et même contrat social. S'il existe défaut de consentement, c'est que les habitants se sentent forcés de cosigner avec tous les autres habitants, et qu'ils n'ont pas le choix. Il faut donc leur donner ce choix. Il faut permettre à n'importe quel habitant du territoire français de résilier le contrat social qui le gouverne actuellement, afin d'en signer un autre avec les individus de son choix.

Notons qu'il s'agit juste de donner une liberté supplémentaire aux Français. En effet, si on leur donne le droit de nouer le lien social avec une autre liste de personnes que la liste de ceux qui résident sur le territoire français, ils peuvent très bien décider librement de ne rien changer. On ne fait que donner une option supplémentaire à chaque individu, et s'il ne l'exerce pas, cela voudra dire qu'en fait il était content de la manière dont il était gouverné. On ne retranche rien, on ne fait qu'augmenter le pouvoir de choisir des gens. Alors que dans le système actuel, comme nul n'a le choix, le consentement au contrat social entre tous les résidents du territoire français ne peut être tenu pour acquis.

Il est d'ailleurs fort probable que le niveau général de mécontentement baisse même si rien ne change. Car si chacun considère les alternatives et qu'elles lui semblent peu attrayantes, il appréciera mieux ce qu'il a que si aucune alternative n'était offerte.

Certains objecteront que ça pourrait occasionner une reconfiguration de la France millénaire. C'est bien ça le problème: cet idéal de la France unie sous l'étendard à la fleur de lys remonte au temps où un monarque absolu régnait de droit divin. Ce n'est pas exactement un idéal de liberté ni de fraternité. A cette époque, les terres changeaient de main au gré des batailles et des mariages, et les paysans qui vivaient dessus changeaient aussi de main comme du vulgaire bétail. Personne ne leur demandait leur avis. Ça ne peut plus continuer comme ça. La Révolution Française a changé beaucoup de choses, mais malheureusement pas celle-ci, et il est grand temps de parachever son œuvre.

Il y a aussi ceux qui sont inquiets car ils ne voient pas où ce processus pourrait mener, car personne ne le contrôle. Et c'est tant mieux! Le propre de la liberté est toujours d'engendrer des effets inattendus. C'est pour cela que l'histoire n'est pas écrite à l'avance et que ça vaut la peine de vivre. Si quelqu'un contrôlait ce processus, quelle tentation de détourner un tel pouvoir à des fins personnelles... De plus, comme personne n'a la science infuse, même un législateur imprégné de la sagesse des siècles est capable de faire de grosses bourdes.

D'une manière générale, l'incertitude est nécessaire à la vie. Mais attention, incertitude ne veut dire ni chaos ni désordre. A chaque instant, chaque contrat social exprimera la volonté de ses cosignataires, et ils subiront de plein fouet les conséquences de leurs décisions collectives, donc on peut gager qu'ils seront fortement incités à ne pas faire n'importe quoi.

D'ailleurs si on partait du principe que les gens sont trop bêtes pour qu'on puisse leur faire confiance, alors pourquoi leur donner le droit de vote? Quel homme politique osera expliquer à ceux qui l'ont élu qu'il les prend pour des imbéciles? Non, il faut partir du principe que les gens savent ce qui est bon pour eux, mieux qu'un membre de l'élite. L'élite peut suggérer, argumenter, cajoler, mais en dernier ressort c'est du peuple qu'émane le pouvoir politique, donc chacun est capable de faire le bon choix. Surtout quand ceux qui se sentent dépassés par les évènements peuvent faire le non-choix de ne pas changer de contrat social.

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