Logique Qualitative

Augmentation des statistiques de la violence et du sentiment d'insécurité, montée en popularité des extrêmes, non au référendum sur la constitution européenne, Jean-Marie Le Pen invité surprise du deuxième tour des présidentielles en 2002, montée des communautarismes, renversement de la majorité à chaque élection legislative, fréquentes périodes de cohabitation, succès d'audience des déclinologues, 751 zones de non-droit où la police ne s'aventure plus, les Français qui s'expatrient en masse: autant de symptômes de l'affaiblissement du lien social en France. Les Français ne font plus confiance à leurs concitoyens. Chacun est persuadé de faire plus de sacrifices que son voisin.

La preuve c'est que les intellectuels, les journalistes, les écrivains, les médias, les artistes, les hommes politiques rivalisent d'habileté rhétorique pour essayer de renforcer ce lien social. Ils sont en quelque sorte l'émanation de la société française, le reflet qu'elle se renvoie à elle-même, et c'est pour cela qu'ils veulent la sauver, qu'ils la portent à bouts de bras et lui font du bouche-à-bouche. Seulement le consentement au pacte social ne se décrète pas, il relève exclusivement de la volonté individuelle des citoyens, et ces derniers commencent à avoir des doutes. Sérieusement des doutes.

Ce n'est pas le rejet de tout pacte social, juste de celui-ci. En effet, les Français qui recommencent leur vie à l'étranger sont tout heureux de renouer un pacte social, mais avec les habitants de leur pays d'accueil, pas avec les autres Français. Dans les 751 zones de non-droit il n'y a pas absence de loi, mais établissement une autre loi que celle de la République, que ce soit celle des grands frères, des prédicateurs religieux ou des trafiquants de drogue.

Ce n'est pas non plus le rejet du gouvernement en place, puisqu'alors la solution serait toute simple: changer de gouvernement. En démocratie rien de plus facile, c'est la valse. Nous l'avons fait, ça n'a pas marché, nous ne sommes pas plus avancés. A chaque période, comme les élections sont honnêtes et reflètent scrupuleusement la volonté exprimée par les votants, la majorité des électeurs s'est donné le gouvernement qu'elle pensait le mieux à même de résoudre ses problèmes. Et pourtant il ne les a pas résolus.

Il ne reste donc plus qu'une seule explication possible: c'est que les habitants du territoire français veulent bien signer un contrat social, mais pas avec l'ensemble des autres habitants. Par exemple, ceux qui sont prêts à partir à l'étranger signalent leur désir de signer un contrat social avec les habitants d'un autre pays. Ceux qui vivent dans une zone de non-droit signent effectivement un contrat social avec les habitants de cette zone, mais pas au-delà. Ceux qui votent contre un parti extrémiste veulent bien signer un contrat social avec tout le monde sauf les électeurs de ce parti. Les antilibéraux veulent signer un contrat social avec tout le monde sauf les libéraux, etc.

Il est temps de cesser de mesurer la grandeur d'une aventure collective au nombre de gens embringués dedans de gré ou de force, et de commencer de la mesurer à l'intensité de l'implication des participants. Passer d'une logique quantitative à une logique qualitative. Quel leader sera assez courageux pour déclencher cette révolution-là?

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